tous les jours

 

 

« Monsieur, je ne sais pas comment un jardin,

à le voir, peut rendre un homme heureux ? »

 

Marguerite Duras, Le square

 

 

à Juliette, ma petite grand-mère,

et l'eau froide de sa vaisselle

 

pour Gérald, semper

 

 

 

avoir usé assez de draps pour partir dans les nuages (peut-être pleuvra-t-il demain

 

et l’odeur de la terre   et la couleur du temps   sur la campagne    après l’orage

 

 

 

*

 

 

 

la mousse sur les bordures de ciment      la terre    froide    humide      la petite musique du piano    lointaine      l'autre moi sous le ciel gris      la joue contre la vitre    l'air glacial du dehors à travers la vieille porte de la cuisine    et le radiateur en fonte    bouillant      la mousse sur les bordures de ciment

 

 

*

 

 

 

écouter tomber la pluie comme on casse la vaisselle      le même frémissement toujours des arbres entre la fenêtre et le cimes

 

 

 

*

 

 

 

et me laisser ravir par l’éclat sur le mur    la peinture qui s’écaille           sentir la poussière couler en moi comme lumière sève à l’envers      me respirer poussière

 

 

 

*

 

 

 

il me faudra conter encore et la fuite du fleuve et le retour des saisons

 

 

 

 

*

 

la nuit venue   regarder au ciel mourir les étoiles   il y a tant d’années   et se savoir passer   sereine certitude

 

 

 

*

 

 

 

prendre à nouveau le temps de compter les étoiles – ce n’est pas jeu d’enfant   mais comme celui à qui le langage a appris (a permis de comprendre) qu’il était de passage       la nuit très grande sur la campagne

 

 

 

*

 

 

 

réapprendre  en attendant l’orage (la terre qui gronde, l’urgence du travail)      sentir monter de nulle à nulle part la parole sans âge et laisser ma chair se dissoudre en ces mots

 

 

 

*

 

 

 

nager à la surface des choses à la rencontre de la lumière       tracer la voie où se laisser disparaître      écrire le passage, l’effacer       accepter de pouvoir se perdre      ne pas en aimer moins pourtant

 

 

*

 

 

 

écouter Bach sur la route      et pleurer de se savoir vivre, mourir

 

 

 

*

 

 

 

redéfinir le retour des saisons      écrire encore (ne pas oublier) le cœur de lumière de nos amours passés

 

 

 

*

 

 

 

retrouver au quotidien le chemin du large, le sillage de notre passage      chemins de traverse, allées et contre-allées, chemins couverts, et bien plus haut...

 

 

 

*

 

 

et se réveiller soudain dans les draps d'un mort      un grand verre d'eau froide et pure    le pot de terre que des générations ne parviennent à dissoudre, la vaisselle cassée pourtant, et celle dans laquelle on mange encore

 

 

 

*

 

 

 

réapprendre la douceur de vivre avec nos morts

 

 

 

*

 

 

 

éplucher des légumes à défaut de tresser des mots      dresser les uns contre les autres      et y trouver encore le suc de quelques poèmes

 

François COUDRAY