Temps et vérité dans la crypt[y]que.

Introduction à la lecture de Jean-Philippe Roussilhe

 

 

 

« Il suffit de suivre à la trace, peu de temps, les parcours répétés des mots pour apercevoir, en une sorte de vision, la construction labyrinthique de l’être. »

Georges Bataille, L’Expérience intérieure, 1954, Gallimard, 1967, p.131

 

« J’écris pour qui, entrant dans mon livre, y tomberait comme dans un trou, n’en sortirait plus »

Ibid. page 180

 

« L’aspect profond échappe facilement. »

Ludwig Wittgenstein, Investigations philosophiques, 387

 

 

 

         Je vais vous dire quelques mots sur l’œuvre de Jean-Philippe Roussilhe et, si vous le voulez bien nous allons procéder de la manière suivante  :

1) Je présenterai d’abord, dans un premier temps, les ouvrages constitutifs de cette œuvre en tant qu’objets matériels, dotés d’une certaine apparence, ou d’une certaine esthétique.

2) J’évoquerai, dans un second temps, les contenus de ces ouvrages en en proposant sinon des résumés substantiels –toujours très difficiles, comme vous le comprendrez, sinon impossibles, avec les textes de Jean-Philippe Roussilhe– du moins ce que l’on pourrait appeler des synthèses acceptables.

3) Enfin, dans un troisième temps, je m’attacherai à un thème transversal dans ces textes ou, plutôt, je circulerai dans l’épaisseur des textes pour en offrir une lecture commentée relative aux questions du Temps et de la Vérité. On peut mettre des majuscules à ces deux termes, si l’on veut.

         Je précise d’emblée qu’il y a dans l’œuvre de Roussilhe une grande unité entre la forme matérielle de l’objet livre, le (les) contenu(s) et les problématiques explorées.

         Nous parlions de l’une de ces problématiques, centrale semble-t-il : celle relative aux questions du Temps et de la Vérité. Précisons un peu notre approche.

         Le temps, quel temps ? Celui dont nous faisons quotidiennement l’expérience existentielle? Ou le temps collectif saisi comme durée historique, comme temporalité?    

         Et bien, vous le verrez, un peu des deux : car le propos de Jean-Philippe Roussilhe vise à articuler avec clarté (bien que de manière apparemment étrange sinon désordonnée) le temps subjectif et le temps historique. Je n’en dirai pas plus pour l’instant.

 

         Et la Vérité, quelle Vérité ? Celle qui est acceptée comme telle, dont chacun s’accorde à dire qu’elle se manifeste visiblement ici ou là ? Ou bien celle ″qui n’est pas bonne (ou pas toujours bonne) à dire″, celle ″qui sort de la bouche des enfants″… ou des écrivains, des artistes ? Ou encore, cette vérité fuyante, obstinée et parfois aveuglante qui surgit de certaines œuvres (romans, films, pièces de théâtre, peintures, musiques…).

         Eh bien, à nouveau, je vous dirai : un peu tout cela. L’œuvre de Roussilhe interroge la manière dont une vérité peut être énoncée, les conditions de cette énonciation, les contextes susceptibles de la voir éclore. On pourrait plus précisément soutenir que le texte roussilhéen (j’utiliserai volontiers cette appellation) est moins préoccupé par le contenu de la vérité que par le processus même de son dévoilement… ou de son escamotage.

         Car ce n’est tant la vérité ou le contenu de la vérité qui intéresse l’auteur que les modalités d’apparaître de cette vérité ou, plutôt, d’une vérité, c’est-à-dire toujours d’une possibilité de vérité. Par conséquent, le projet de l’auteur consiste moins à “révéler les faits” qu’à établir la logique même de leur surgissement dans la parole ou dans l’image (mentale, photographique ou filmique). Ainsi la vérité se trouve-t-elle comme filtrée par ses modalités d’apparitions, par les formes diverses, plus ou moins fiables, de sa construction.

         Ce qui témoigne, de la part de l’auteur, d’un grand scepticisme voire d’une grande incrédulité quant aux faits eux-mêmes, quant à leur stabilité et à leur objectivité. Mais cette position révèle également une très vive curiosité de l’auteur pour les minuscules rouages des actions humaines, pour l’infinie précision -quasi horlogère- des enchaînements aléatoires qui déterminent les accidents et le flux d’une existence.

         Dès lors il ne peut plus être question de fonder l’être (le sujet ou la personne) sur les contenus de ses actions : il s’agit désormais de s’attacher à comprendre que ce qui est déterminant ce sont les logiques mêmes de ces actions, ou, pour être plus radical, ce sont  les pensées auxquelles elles se rattachent. L’auteur témoigne ainsi d’un doute persistant sur la capacité de l’homme à maîtriser son destin ou à diriger sa vie, et par voie de conséquence à être véritablement libre.

         Il est important de souligner d’emblée que le modèle d’écriture de Jean-Philippe Roussilhe n’est pas le roman ou le récit mais plutôt le cinéma en raison de l’usage du montage (on trouve une référence au cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein dès le premier volume du Kubrick’s cube : « … ce qui lui rappellerait l’art, et l’œuvre, d’un autre géant, maître soviétique du montage… » (page 30). L’assemblage, le collage, le montage sont des procédés permanents dans l’œuvre roussilhéenne, de sorte que nous comprenons très vite que cette œuvre n’est pas composée de textes séparés mais forme un seul texte, une sorte de livre dont nous feuillèterions les divers chapitres en cherchant constamment à en saisir les articulations. Et, faut-il le souligner, un livre de sable – au sens où l’entendait l’écrivain Borgès (libro de arena) –, c’est-à-dire un livre qui recompose constamment ses réseaux d’écritures, ses agencements et ses organisations de sens dès que nous le refermons. Chaque lecture est radicalement nouvelle puisque la remise en réseaux s’est entre-temps modifiée.

         De sorte que les questionnements de Jean-Philippe Roussilhe, pour le dire vite,  procèdent en permanence de la circularité et du tressage . Dans cette « ronde narrative » (c’est une formule de l’auteur, Kubrick’s cube #2 D.O.U.L.E.U.R.S., page 27), le lecteur ayant souvent l’impression de devoir parcourir régulièrement ses propres traces  mais à l’envers ou à rebours – comme l’enfant dans Shining, figure Roussilhéenne par excellence et alter ego de l’auteur. Je fais allusion à la séquence de la fuite de Danny dans le labyrinthe enneigé (séquence absente du roman de Stephen King, du moins sous cette forme).                             

         Mais j’en ai trop dit, il nous faut à présent reprendre le fil de cet exposé.

 

 

 

 

 

1. De la matérialité de travaux d’écriture : 

pliage, ruban, bouteille, coffret, livres

 

 

          “Une œuvre est formée lorsqu’elle est en tous points nettement délimitée mais, à l’intérieur de ses limites, illimitée et inépuisable, lorsqu’elle est entièrement fidèle à elle-même, en tous points égale et pourtant supérieure à elle-même.”

              Friedrich Schlegel, Fragments, 297, Athenäeum, Berlin, 1798

              

 

  

         Ralentir travaux, tel était le titre d’un ensemble de 30 poèmes de René Char, André Breton et Paul Eluard publié en 1930 aux Editions surréalistes. Nous pourrions, à l’instant de nous pencher sur l’œuvre de Jean-Philippe Roussilhe, employer cette expression, cette interpellation, indiquant au public les chantiers des travaux publics et du bâtiment. Ce sont des obstacles matériels qu’il convient d’aborder à petite vitesse, avec précaution et attention. Les textes de Roussilhe supposent également un lecteur attentif qui aurait fait de son désœuvrement un usage particulier où la circonspection se mêlerait à une forme de prudence, où la vigilance serait constamment de mise.

         D’abord, lorsque les livres surgissent devant nous, ce sont bien des chantiers qui se présentent. Des chantiers volontiers sans plan ni architecte mais qui exposent leurs matériaux, leurs assemblages, leurs modalités d’apparence, leurs dispositifs de travail.

         La matérialité des livres de Roussilhe introduit clairement le lecteur dans le processus du montage, de l’assemblage, ils incitent à la nécessaire manipulation des matériaux dans l’exercice de la lecture. Cette matérialité n’est donc pas un artifice ou une coquetterie décorative, c’est un morceau du programme. Ou pour être plus précis : à la fois une clé de compréhension du travail et une pièce du jeu.                                                        

         Commençons donc par la matérialité des textes publiés par Jean-Philippe Roussilhe, par ce que le romantique allemand Friedrich Schlegel nommait les ″limites″

         A ce jour, cette œuvre -telle que publiée aux éditions [poïein]- se compose de cinq publications complexes possédant chacune un mode de déploiement spatial (une expression physique) ainsi qu’un ou plusieurs système(s) codé(s) de lecture(s) générant et ponctuant des séquences d’écriture articulées.

         Evoquons donc, brièvement, pour commencer, l’expression physique, la matérialité spatiale de ces cinq textes.

1. Stèl\es pour une pléïade, (février 2007). Il s’agit d’une plaquette de format 21x14, 8 cm et de 28 pages, éditée à 20 exemplaires. La couverture noire, dénuée d’inscription, est cousue au fil de sisal, sans dissimulation de l’assemblage, à l’aide de six attaches

         Cet ouvrage se présente comme un recueil d’ « hommages poétiques à sept [des] phares [de l’auteur] écrits à partir d’éléments de leur vie » (colophon). Ces ″Phares″ sont, dans l’ordre d’apparition : James Joyce, Franz Kafka,  Ezra Pound, Samuel Beckett, Cesare Pavese, Claude Simon, Joseph Brodsky. Sept écrivains, donc.

         Chacun des phares ″occupe″ quatre feuillets superposés:

■ un calque reproduisant la photographie d’un portrait de l’écrivain ;

■ un canson de couleur portant les nom et prénom de l’écrivain ainsi que sa date de naissance et celle de sa mort ;

■ A nouveau un calque reproduisant un fragment de page manuscrite de l’écrivain. A l’exception de trois d’entre eux -Pound, Pavese et Brodsky- pour lesquels le calque reproduit un passage d’un livre dans sa langue d’origine, successivement : l’anglais, l’italien, le russe.

■ Enfin, le quatrième et dernier feuillet est une page d’écriture de Jean-Philippe Roussilhe composée par groupes de phrases éclatées où l’on retrouve des titres de livres et des formules ou mots des auteurs, de la critique plus ou moins bienveillante (ou malveillante) à propos de ces auteurs, des indications de date renvoyant à des faits précis comme, pour Claude Simon,  « à Stockholm, le 9.12 1985 » correspondant à la réception de l’écrivain lors de sa remise du prix Nobel de littérature.

2. Vert bouteille, bleu Klein  (mai 2007). Une boîte de carton marron (20 x 14 x 7, 5 cm) contient deux bandes de papier de (6,8 cm x 29,7 cm) rattachées par une bande de papier (13,6 x 4,8 cm), de façon à évoquer ce qu’il est convenu d’appeler un anneau ou ruban de Möbius. Des textes sont distribués le long des bandes de papier en circulation continue de l’extérieur vers l’intérieur puis l’extérieur.

         La figure de l’anneau de Möbius se retrouve, imprimée, sous  la boîte sous la forme du  logo du recyclage (les 3 flèches pliées de l’anneau de Möbius) créé en Allemagne en 1970 .

 

3. Turing’s Vita Brevis (1912-1954), (hiver 2009/2010). Il s’agit d’un petit livre de format 15x11 cm contenant 8 liasses de feuillets :

-         Quatre liasses portant le titre : ″TURING’S VITA BREVIS –LIVRE I″, ″LIVRE II″, ″LIVRE III″, ″LIVRE IV″ (en majuscules et en chiffres romains). Chaque liasse est construite sur le modèle de l’in-folio, c’est-à-dire une feuille de papier pliée en deux de façon à produire 2 feuillets, soit 4 pages. Il y a 8 feuilles pliées, soit 32 pages. 

-         Quatre liasses portant le titre : ″Turing’s Vita Brevis – Livre 1″, ″Livre 2″, ″Livre 3″, ″Livre 4″ (en minuscules et en chiffres arabes). Chaque liasse est construite sur le modèle de l’in-quarto, c’est-à-dire une feuille de papier pliée à deux reprises, verticalement et horizontalement, de façon à produire 4 feuillets, soit 8 pages. Il y a 4 feuilles pliées, soit 32 pages.

-         Les 4 ″LIVRES″ numérotés en chiffres romains se lisent horizontalement, de droite à gauche et de haut en bas : ils présentent des colonnes de chiffres empilés paraissant constituer au premier abord des tracés graphiques horizontaux abstraits.

-         Les 4 ″Livres″ numérotés en chiffres arabes présentent, livre par livre, un texte en continu, en écriture alphabétique.

La couverture comporte sur ses faces intérieures :

-         Des ″Instructions″ (sur la deuxième de couverture).

-         Et une ″Table de Transposition″ sur le rabat latéral droit enfermant les liasses des ″LIVRES″ et des ″livres″.                                                                                        

4. Kubrick’s Cube, édité en 2011, se présente comme un quasi-cube évidé de 11,9 x 11,9 cm de section et sur 10,9 cm de profondeur, fabriqué en médium de 9mm d’épaisseur. Ce quasi-cube est un boîtier (coffret) contenant 6 petits livres au format 10 x 10 cm signés ″JEAN-PHILIPPE ROUSSILHE / JOEL FREMIOT ″ - ainsi que le titre de l’opuscule, à savoir, dans l’ordre  :

-         DES THRACES DANS LE MARBRE KUBRICK’S CUBE #1,

-         D.O.U.L.E.U.R.S. KUBRICK’S CUBE #2,

-         JEU A TROIS TEMPS KUBRICK’S CUBE #3,

-         LUMIERES ANGLAISES KUBRICK’S CUBE #4,

-         L’HOTEL AVEC UNE HACHE KUBRICK’S CUBE #5

-         MASCARADE NEW-YORKAISE KUBRICK’S CUBE #6.

        

         Chaque livre évoque un film du réalisateur américain Stanley Kubrick (1928-1999), dans l’ordre 

-         1. Spartakus (1960).

-         2. Lolita (1962).

-         3. Orange mécanique (1963).

-         4. Barry Lindon (1975).

-         5. Shining (1980).

-         6. Eyes Wide Shut (1999).

        

         Chaque livre comporte :

         ● Quatre interventions graphiques (au pinceau, à la mine de plomb, aux crayons de couleur, aux crayons Conté, à l’aide de gommettes autocollantes), de l’artiste Joël Frémiot, sur papier Canson blanc ou noir, sur plaque de rhodoïd, sur papier millimétré, sur cadapack (carton plume mousse) de 5 mm et sur papier peint. Chaque support, découpé au format des livres, 10 x 10 cm, fait l’objet d’une intervention graphique à minima avec un répertoire de ″motifs″ récurrents : des évocations de briques, des silhouettes humaines brouillées (bustes, tête…), des jeux de rythmes (quadrillages, lignes brisées, ponctuations, traces ou chemins…), des schématisations d’espaces composites (cases, fenêtres, lucarnes …). Le motif dessiné ″brique, métaphore et métonymie à la fois de l’ensemble Kubrick’s Cube (textes et objet), se retrouve systématiquement dans chacun des 6 ″Kubrick’s Cube″, de sorte qu’il apparaît 72 fois (6 fois pour chacune des 12 éditions).

         ● Et quatre livrets de l’auteur, comportant à chaque fois 12 pages, soit 48 pages de texte pour chacun des six livres et donc 288 pages de texte par coffret.

         Ces livrets présentent des structures de textes différentes, marquées par un usage réglé de trois encrages (caractère noir – caractère gras – caractère gris) et de la panoplie des signifiants graphiques : italiques, majuscules, variations des hauteurs de corps de caractères et (plus rarement) de modèles typographiques, pages justifiées ou alignées à gauche (jamais à droite), organisation spatiale opposant un quadrilatère compact de lignes justifiées au quadrilatère ″démembré″ des pages mallarméennes .

         Les indications du colophon sont inscrites sur un carré de papier de 8 x 8 cm collé sur le boîtier.

 

5. Data, (été 2012) est l’avant-dernier opuscule publié par Jean-Philippe Roussilhe puisque dyade, etc… vient de paraître. Il se présente comme un mince livret de format 10,5 x 10,5 cm et de 24 pages non numérotées.

         L’ouvrage est un petit in-folio de 6 feuillets de 10,5 x 21 cm, pliés en deux et emboîtés de façon à constituer 6 fois 4 pages.

         La page 1 (non numérotée) présente en distribution spatiale 44 dates, entre le 19 01 1972 et le 06 08 2012. Passé cette première page, chaque page du livre présente deux dates en caractères gras soulignés.

         La 24ème page ne comporte pas de chiffres (de dates) mais un simple carré occupant la majeure partie de la surface du papier sous la forme d’un tracé linéaire. Un court texte intitulé ″PRÉCAUTIONS D’UTILISATION″ incite le lecteur, à l’issue de sa lecture, à écrire ″sur la dernière page du présent volume, son poème numéral″, à l’intérieur donc du carré dessiné.        

         La page 3 de couverture présente une citation du physicien et philosophe autrichien Moritz Schlick (1882-1936), un des fondateurs du Cercle de Vienne : « Les émotions sont du contenu (qui possède certes une certaine structure) ; la poésie ne les communique pas : elle les produit ».

 

 

 

 

2.  Lire Jean-Philippe Roussilhe : fragments, traces, dispositifs, machines.

Actes d’une mythologie personnelle

 

 

“Or, le propre de la pensée mythique, comme du bricolage sur le plan pratique, est d’élaborer des ensembles structurés, non pas directement avec d’autres ensembles structurés, mais en utilisant des résidus et des débris d’événements : « odds and ends », dirait l’anglais, ou, en français, des bribes et des morceaux, témoins fossiles de l’histoire d’un individu ou d’une société.”

Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, 1962

 

 

 

         Cinq ouvrages ? Et bien non. Pour deux raisons.

         ■ D’abord, un livre précède ces 5 ouvrages, publié en 2005 (deux ans avant Stèles, par conséquent), aux éditions Le Manuscrit. Ce livre, intitulé Le Parcours, se présente comme un ″roman″ mais s’apparente à un journal tenu sur presque une année et mêlant le présent et le passé, le récit et la réflexion. On pense au Métier de vivre de Pavese, cité précisément comme une lecture du scripteur (page 75).

         Nous trouvons déjà dans ce texte :

- un type de montage de l’écriture organisée autour d’événements au sens mallarméen de ce mot  (« …de la mémorable crise ou se fût l’événement … », Un coup de dés) ;

- mais aussi une relation fissurée au narrateur -tantôt scripteur (sujet de l’énonciation), tantôt personnage (sujet de l’énoncé)- qui seront des formes récurrentes de l’esthétique littéraire de Jean-Philippe Roussilhe, ou, pour le dire plus nettement : des traits distinctifs du texte roussilhéen.

 

         ■ Ensuite, un nouveau livre vient d’être inachevé par l’auteur et se trouve disponible aux éditions [Poïein]. Son titre ? dyade, etc .

         Ce récent ouvrage, à l’évidence le plus élaboré et le plus redoutable de l’auteur, porte à un degré supérieur la performance d’écriture en lui inventant de nouvelles modalités de construction et de scénographie. C’est l’ouvrage le plus troublant et le plus énergique du texte roussilhéen conçu comme une machine d’écriture où la place du sujet demeure sinon absente du moins instable. Une conférence entière pourrait être consacrée à la lecture et à l’interprétation de cette machine d’écriture en réseaux que constitue dyade, etc … d’autant que la culpabilité souvent présente jusque là dans l’œuvre de Roussilhe s’efface à présent ou s’atténue pour présenter les récits et l’écriture selon un processus affirmatif plus tranchant, mais aussi plus fluide.

 

         Donc 7 textes :

0. Parcours, 2005

1. Stè\les pour une pléïade, 2007

2. Vert bouteille, bleu Klein, 2007

3. Turing’s Vita Brevis (1912-1954), 2010

4. Kubrick’s Cube, 2011

5. Data, 2012

6. dyade, etc…, 2014.

 

         Notre idée, appuyée sur une lecture attentive du texte roussilhéen, la voici : nous sommes en présence de la construction d’une mythologie personnelle dont chaque ouvrage propose une mise en scène possible avec des personnages, des voix, des décors, et donc des lieux, des situations, des temporalités.

         L’idée de chantier (déjà évoquée) ou de régie est très prégnante dans le texte roussilhéen où nous avons en permanence l’impression d’assister à des essais, à des répétitions ou bien aux actes enchaînés, complexes et contradictoires, d’un grand récit perdu qui s’avère très difficile à reconstituer. Ce récit s’apparente à ″la pensée mythique″ selon Lévi-Strauss, laquelle est un ″bricolage″ utilisant ″des résidus et des débris d’événements″ comme autant de ″témoins fossiles″ d’une histoire simultanément collective et individuelle.

         Ainsi nous pouvons lire dès la huitième page du premier volume du Kubrick’s cube : « tu as quelques souvenirs et pas mal d’éléments, les idées affluant ; tu as pris le temps de la maturation. Le moment te semble venu de commencer ; tu as du temps devant toi, et une certaine quantité d’ébauches et de fragments. Tu commences lentement par la collecte et l’arrangement de ces notes éparses en une sorte de grille –trame- quelque chose comme un échafaudage ».

         On savourera toute l’ambiguïté de la deuxième personne du singulier, à la fois voix de l’auteur (ou d’un scripteur anonyme) et méditation du lecteur. A l’aide de ce fil conducteur je vous propose une présentation succincte des ouvrages de Jean-Philippe Roussilhe.

 

0. Le Parcours

         Le découpage du « ″roman″ Le Parcours se présente ainsi :

         18 chapitres, numérotés de 1 à 18; 29 jours du 20 décembre au 17 septembre de l’année suivante et 6 parties identifiées chacune par un adjectif suivi d’un point d’interrogation : innascible ? (avant le chapitre 1), infantile ? (avant le chapitre 4), inhibé ? (avant le chapitre 7), inepte ? (avant le chapitre 10),  i(d/rr)éaliste ? (avant le chapitre 13) et irrésolu ? (avant le chapitre 16). Ces adjectifs –qui sont toujours des attributs d’un sujet incertain- procèdent d’une lecture différente des faits relatés par le récit, les rattachant tous à un portrait psychologique à la fois négatif et en creux du personnage et du narrateur. De sorte que le scripteur est à la fois narrateur et personnage, dehors et dedans, juge et partie. Mais, sans doute, sans postuler une cloison nette entre ce dehors et ce dedans (entre l’observation à postériori et le vécu sans distance). Dès lors le passage entre ces sphères s’apparente à la figure de l’anneau de Moebius matérialisé -comme nous l’avons vu-  dans l’aspect physique de Vert bouteille, bleu Klein, le troisième livre de Roussilhe.

         Cette 4ème de couverture s’achève par ces mots : « Epilogue : une clef dont on a perdu la serrure ».

1. Stè\les pour une pléïade

         Cet ouvrage se présente, nous l’avons vu,  comme un recueil d’ « hommages poétiques à sept [des] phares [de l’auteur] écrits à partir d’éléments de leur vie » (colophon). Ces ″Phares″ sont, dans l’ordre d’apparition : James Joyce, Franz Kafka,  Ezra Pound, Samuel Beckett, Cesare Pavese, Claude Simon, Joseph Brodsky Cet ordre d’apparition répond à la chronologie des naissances des auteurs considérés.

         Ce premier livre (publié chez [poïein]) présente des traits bien marqués. Nous en relevons trois.

         1. D’abord, un goût pour les activités de classement : numérotation, mise en liste, recherche d’une forme logique d’organisation des matériaux, forme à la fois arbitraire et rationnelle, et assez généralement conduite de manière scrupuleuse de sorte que l’effet sur le lecteur devient vite hypnotique. Comme s’il convenait d’établir, par-dessus tout, un rite de mise en ordre permettant sinon de conjurer du moins de tenir à distance l’entropie des textes et celle de l’histoire. Mais aussi l’effet entropique permanent de l’écriture elle-même. Le mot entropie [du grec entropia (έντροπία), ″retournement″] est un concept employé dans la Thermodynamique où il désigne la variable que constitue un désordre qui tend à se générer lui-même. Ce terme a migré dans le champ des sciences humaines durant les années soixante pour désigner un système qui, parvenu à l’acmé de son fonctionnement, se retourne en lui-même et contre lui-même pour activer une situation de dégradation.

         2. Ensuite, le sentiment, quasi obsédant, de la littérature conçue comme un cosmos unique tenant lieu d’histoire humaine (subsumant cette histoire humaine), un cosmos unique mais diffracté, en lutte permanente pour sa consolidation historique. Le monde littéraire est alors un substitut du monde phénoménologique dont il procède mais dont il redouble la dispersion au lieu de la suturer.

         3. Enfin, et cela découle de ce que je viens de dire : le lecteur roussilhéen a souvent l’impression de lire une lecture, lecture où affleure le sentiment non seulement d’une conscience malheureuse mais aussi d’une conscience inquiète. Le dispositif général de Stè\les, avec ses recouvrements, ses superpositions, ses photos pixellisées, floues, ses manuscrits raturés, ses fragments d’écriture en dérive, donne bien l’image d’un monde non rassemblé et non rassemblable, où la mort -clairement ou sombrement mise en scène- semble être un adjuvant de l’écriture conçue comme histoire de soi et du monde (« grande et petite histoire mêlées » comme le dit l’auteur [Kubrick’s cube #5, page 6]).

2. Vert bouteille, bleu Klein 

         La boîte, nous l’avons vu, contient deux bandes de papier  rattachées, le long de leur bord,  par une troisième bande de papier

         Le titre de l’objet, en effet, Vert bouteille, bleu Klein fonctionne comme un pliage associant vert/bleu et bouteille/Klein. Le double texte, imprimé en vert et en bleu sur les deux bandes de Möbius s’ ″épanche″ au point de contact des deux bandes offrant la possibilité au lecteur de glisser d’un récit à l’autre. Le syntagme « bleu Klein » opérant une distraction de sens entre l’invention du mathématicien Allemand Felix Klein (1849-1925) -la fameuse ″bouteille de Klein″- et l’artiste français Yves Klein (1928-1962), inventeur en 1956 de l’I.K.B. (International Klein Blue), un pigment bleu particulier qu’il avait mis au point.

        

         Avec cet ouvrage surgit dans le texte roussilhéen le paradigme des mathématiques, saisi comme histoire, théorie, singularités des individus (grands mathématiciens) mais aussi, de plus en plus, comme modèle possible pour l’ordonnancement de la littérature et donc du monde. Les mathématiques, paraissent alors offrir à l’auteur un modèle d’éthique, une morale de survie d’autant plus opérante qu’elle est indifférente aux aléas du sentiment et aux problèmes insurmontables des émotions.

         En ce qui concerne Felix Christian Klein, mathématicien allemand, professeur à Munich (où il a pour élève, notamment, Max Planck) Leipzig et Göttingen, il n’est pas anodin de noter qu’il s’agissait d’un chercheur qui contribua à la théorie (naissante) des groupes et se passionna pour les objets mathématiques à la limite de la physique appréhendable du point de vue de la géométrie dans l’espace.

         La forme même de l’objet littéraire conçu par Jean-Philippe Roussilhe évoque cette ″bouteille de Klein″ que les mathématiciens désignent comme une somme connexe de deux plans projectifs, c’est-à-dire une surface close, sans bord, non orientable et ne possédant par conséquent ni intérieur ni extérieur. Bref : un texte parfait mais aussi, soulignons-le, un simulacre de corps humain, sans intérieur ni extérieur, c’est-à-dire sans visage, sans pulsions ni organes, une pure surface close organisée pour coïncider avec son milieu tout en l’intégrant.

         L’objet, proprement hallucinatoire a été décrit pour la première fois en 1882, par Klein. Si on coupe une bouteille de Klein en deux on obtient 2 rubans de Möbius où le passage entre le ″dehors″ et le ″dedans″ est permanent, la réversibilité produisant un lieu où cesse le conflit de l’extérieur et de l’intérieur, du monde et du moi.

                  

         C’est, si l’on veut, un modèle de la présence (l’être-là) magique au monde mais aussi un prototype d’écriture où l’auteur -le sujet écrivant- est insaisissable puisque : aussitôt saisi dans l’ordre du réel il s’inverse en pure fiction (en imaginaire ou en symbolique), tandis que la fiction du sujet émerge, précairement, comme un possible tenant-lieu du monde.

         Et observez bien comment tout ceci est exposé : l’un des 2 rubans de papier de Vert bouteille/bleu Klein décrit un film : celui réalisé en 1960 lors de la performance des anthropométries de l’époque bleue dirigée par l’artiste niçois Yves Klein à la Galerie internationale d’art contemporain à Paris. L’autre ruban évoque le savant « Möbius, donc, mathématicien dont les travaux portèrent sur la géométrie projective ce qui l’amena etc… ».

         Au point de jonction interne des deux bandes l’auteur aborde « la remise en cause du cloisonnement art/sciences, ou plus précisément de leur opposition légitime à plus d’un titre, etc… ».

         La question littéraire, c’est-à-dire celle des conditions du texte littéraire, se confond dès lors pour Roussilhe avec une sorte de lieu de convergence du protocole scientifique et de la construction artistique (film ou littérature) en tant qu’ils permettent créer des modèles du monde. Ce lieu impossible est un lieu idéal pour l’esthétique roussilhéenne car il expose un événement qui ″n’a pas lieu″ tout en dérobant définitivement le conflit du sujet et du phénomène, du même et de l’autre, du moi et du monde.

 

         VB/BK est donc un ouvrage important qui enrichit et fixe le langage roussilhéen : c’est bien ce type de fonctionnement qui désormais sera exploré.

3. Turing’s Vita Brevis (1912-1954)

         Publié deux ans ½ après Vert bouteille/bleu Klein, Turing’s Vita Brevis va complexifier l’appareillage roussilhéen tout en ouvrant une perspective de travail qui révèlera toute sa violente cohérence dans les textes suivants.

         Cette Brève vie de Turing se présente comme une biographie -certes roussilhéenne- du mathématicien britannique Alan Mathison Turing né en 1912 et décédé (par suicide) en 1954 à l’âge de 41 ans. Ce qui pouvait s’apparenter, dans Stè\les à des éclats de biographies, est à présent revendiqué. Le projet consiste, à partir de documents étudiés, plus ou moins nombreux, à édifier un texte discontinu sur un personnage célèbre. Le Parcours l’annonçait déjà (″Je suis assez curieux de ces gens dont la vie se confond avec l’Histoire…″, page 51), mais il ne s’agit pas, quant au fond, d’un projet biographique mais d’un projet littéraire qui emploierait le biographique comme une catégorie productive parce qu’il met en jeu, idéalement, un espace de rencontre du sujet et de l’histoire, mais aussi de la vérité et du temps.

                   En fait, le ″biographique″ roussilhéen fonctionne comme un théorème qu’il s’agit d’exposer : la vie et l’œuvre (indissolublement mêlées, comme dans le ruban de Möbius) du personnage (par exemple Alan Turing) sont considérées comme une proposition qui peut être démontrée, une assertion dont on peut établir qu’elle est vraie en traversant les strates d’un raisonnement articulé. Qu’elle est vraie en tant qu’elle s’explicite, sans que la morale n’intervienne dans ce jugement strictement logique (ou fondamentalement existentiel). Être c’est vivre et la vie est une composition (un ″programme″) qui trouve sa légitimité dans sa simple et immédiate effectuation. Comme pour le pudding dont la preuve de l’existence tient au fait que nous le mangeons (The proof of the pudding is in the eating), la vie -du fait même qu’elle est vécue- est prouvée, c’est-à-dire vraie.

 

         Le texte roussilhéen s’érige dès lors comme une machine traversant les mots et les choses, les écrits et les faits, pour produire une sorte de démonstration où les axiomes et les hypothèses scandent une construction en permanence inaccomplie. Comme la vie elle-même. Inaccomplie mais vraie.

         D’une certaine manière, ces vies scrutées à la loupe, font l’objet d’une expérience de laboratoire : peut-être pourrait-on extraire de ces amas incertains la formule même du vivant ? Mais un trouble sentiment d’incomplétude ou d’impossibilité traverse les démonstrations et en hypothèque sourdement l’efficacité. Les visages considérés demeurent flous, comme les portraits pixélisés des 7 écrivains de Stè\les. N’oublions pas à cet égard que Roussilhe est un admirateur du mathématicien Gödel dont il propose -on pourrait le voir comme ça- une transposition littéraire du théorème d’incomplétude. On peut ainsi lire dans le Kubrick’s cube #3 “Jeu à trois temps” : « … entreprise menant à l’insatisfaction, forcément vouée à l’incomplétude (terme ambigu), à l’état d’esquisse permanent, l’échec pour final » (p. 11. Je souligne).   

        

         Le biographique comme théorème, démonstration et expérience, et en même temps le textuel -la forme même du texte construit, son appareillage en tant que livre- qui, en permanence, déconcerte le lecteur et semble lui mettre des bâtons dans les roues. Car au fond deux lectures du Turing’s Vita Brevis sont possibles, ainsi que l’indique Jean-Philippe Roussilhe :

-         La lecture indexée au code numérologique (les livres I à IV en chiffres romains) ;

-         et la lecture alphabétique (les livres 1 à 4 en chiffres arabes) : ″On peut aussi lire le texte directement à partir des documents pliés sous le rabat″.

         Le lecteur est alors placé dans la même disposition d’esprit que l’auteur qui écrit (ailleurs) : « … tu ne sais pas quelles pistes suivre… » (Kubrick’s cube #6, p. 8). Le code ou la transcription ? Le langage crypté ou décrypté ?

         Mais… mais les deux sont offerts… Dès lors le cryptage s’exhibe d’emblée comme difficulté surmontée, comme complexité défaite. La machine de lecture est une négativité sans emploi, et ce n’est pas là le moindre paradoxe de l’esthétique roussilhéenne. Sitôt donné, le code est cassé, et le scripteur propose la transcription, comme si le code n’était qu’un leurre, comme si la véritable opération encodée, cryptée, c’était le texte lui-même, le texte alphabétique.

         Le code s’inverse en texte qui se ″retourne″ en code qui, etc… Cette machine entropique se présente à la manière d’un réglage permanent de la perception du monde : le flou s’explique par le net et le net par le flou. Ecrire c’est traverser les apparences de la lisibilité pour saisir la forme informe ou le mot indéchiffrable et leur offrir la possibilité d’une traversée inverse et d’une montée dans le champ du visible. Lire (comme écrire, à l’évidence) c’est non seulement ″retirer le masque″ mais ″se déshabiller″ ainsi qu’il est demandé à Bill dans Eyes Wide Shut.

         Le texte lisible (alphabétique) semble ici dans le Turing’s Vita Brevis, être un collage de textes relatifs à Turing (livres, revues, sites internet) issus de divers auteurs, mais il s’agit en partie d’une réécriture de textes empruntés de façon à y insérer une sorte de langue paragrammatique, de langage second ou de langage parasite, qui rythme l’ensemble et lui offre une cohérence hypnotique.

         Ainsi les premières lignes des 4 livrets alphabétiques se répondent-ils :

 

■ Page 1, livre 1 : « Une vocation mathématique que je découvre ancienne ; ce qui me surprend un peu ; j’avais souvenir, mais qu’est-ce qu’un souvenir, sinon la reconstruction, le façonnage d’une réalité conforme à notre désir, d’un élève médiocre, un enfant effacé et asocial, inadapté à la vie du Collège, collectivité hiérarchisée et disciplinée ; un enfant un peu sauvage, un peu perdu, différent pour tout dire, qui s’épanouira auprès de son camarade -Christopher, Christopher Morcom- l’émulation intellectuelle, et l’expérience de l’amour pour Alan, sans succès… »

■ Page 9, livre 2 : « Un recrutement par les services secrets que je découvre prévisible ; ce qui me surprend un peu ; j’avais souvenir, mais qu’est-ce qu’un souvenir, sinon la reconstruction, le façonnage d’une réalité conforme à notre désir, d’un jeune homme effacé et distant, inadapté à la vie de l’université, société aristocratique et mondaine, un homme au sortir de l’adolescence, isolé, perdu pour tout dire, qui s’épanouira dans l’abstraction –mathématique, logique mathématique- les prouesses intellectuelles, et les travaux de Von Neumann, en point de mire ».

■ Page 17, livre 3 : « Une intuition du cerveau électronique que je découvre ancienne ; ce qui me surprend un peu ; j’avais souvenir, mais qu’est-ce qu’un souvenir, sinon la reconstruction, le façonnage d’une réalité conforme à notre désir, d’un lent cheminement, une idée abstraite et lointaine, inabordable à la science du temps, technique mécanique et électrique ; une idée un peu folle, un peu irréelle, utopique pour tout dire, qui s’épanouira dans la guerre –la cryptologie, la cryptanalyse d’Enigma – les prouesses techniques, et le génie d’Alan, dans le secret ».

■ Page 25, livre 4 : « Une attirance pour les jeunes hommes que je découvre ancienne ; ce qui ne me surprend plus ; j’avais souvenir, mais qu’est-ce qu’un souvenir, sinon la reconstruction, le façonnage d’une réalité conforme à notre désir, d’un adolescent scientifique, un étudiant monomaniaque et obstiné, obnubilé par la science mathématique, univers austère et abstrait ; un savant un peu distant, un peu névrosé, excentrique pour tout dire ».

Les livres se répondent de la sorte :

La page 1, avec les pages 9, 17 et 25 ;

La page 2 avec les pages 10, 18 et 26 ;

La page 3 avec les pages 11, 19 et 27 ;

La page 4 avec les pages 12, 20 et 28 ;

         Et ainsi de suite jusqu’à la page 8 qui se superpose aux pages 16, 24 et 32 en un palimpseste chiffré, codé, car le vrai code est ici, les 4 livres numérologiques s’apparentant, comme je le disais, à un leurre.

 

         Cette combinatoire d’écriture qui pourrait se réclamer de l’Oulipo mais aussi du Raymond Roussel de Comment j’ai écrit certains de mes livres, installe le texte comme une machine à écho, générant des lectures à la fois croisées et creusées. Les feuillets du livre, comme des strates géologiques, présentent “des résidus et des débris d’événements :  ″odds and ends″, dirait l’anglais, ou, en français, des bribes et des morceaux, "témoins fossiles de l’histoire d’un individu ou d’une société” (je cite Lévi-Strauss).

         L’écriture roussilhéenne s’agence bien comme une série d’actes dégageant, en creux, une mythologie personnelle, celle de Turing au premier chef évidemment, le mathématicien et l’homme, mais aussi, par contrecoup, celle de l’auteur qui dessine une configuration autobiographique semblable à une constellation de signes suspendus relatifs à l’enfance, aux études, aux relations avec autrui, au goût croisé pour le secret, les livres et les idées. Signes suspendus car liés aux souvenirs et « qu’est-ce qu’un souvenir, sinon la reconstruction, le façonnage d’une réalité conforme à notre désir…» ?

 

4. Kubrick’s Cube

         Turing’s Vita Brevis achève à mon sens la première période de travail de Jean-Philippe Roussilhe. Le titre emprunte à un aphorisme célèbre du médecin grec Hippocrate, aphorisme surtout connu dans sa transcription latine :

“Ars longa

Vita brevis

Occasio praeceps

Experimentum periculosum

Iudicium difficile”

Que l’on pourrait traduire par :

″La science est interminable

La vie est brève

L’opportunité fugace

L’expérimentation périlleuse

Le jugement difficile″

         Cette référence, sous-jacente, scelle l’orientation désormais adoptée par l’auteur : le savoir interminable et la difficulté de l’expérience, ajoutés à la brièveté de l’existence et aux faibles occasions d’en rompre la monotonie, limitent considérablement notre faculté de jugement et de création.

         →Dès lors le récit linéaire et la narration articulée sont impossibles, de même que deviennent impossibles (et impensables) des personnages possédant une conscience unifiée. L’idée du mannequin ou de l’automate, d’essence romantique comme vous le savez, procède chez Roussilhe de cette double dimension ou plutôt de ce double constat : une narration (nécessairement) brisée d’un côté et, de l’autre, une conscience (des personnages) en permanence entravée. On peut lire, par exemple : « rappeler l’aspect animé des mannequins du baiser du tueur et la psychologie de CARL [l’ordinateur de bord] étrangement humaine dans 2001[Odyssée de l’espace], ou ce que vous venez de voir : les protagonistes de l’orgie [dans Eyes Wide Shut], figurants réduits à d’inquiétants automatespostures figées, mouvements mécaniques » (MASCARADE NEW-YORKAISE KUBRICK’S CUBE #6, page 27. Je souligne).

 

         →Dès lors devient également impossible et impensable une société organisée selon des règles foncièrement rationnelles et positives. Et le texte roussilhéen est traversé par des séries de notations variées renouvelant ce constat désabusé : « société fragmentée / incommunicabilité généralisée (…)/ jungle urbaine » (JEU A TROIS TEMPS KUBRICK’S CUBE #3, page 5).

         L’esthétique roussilhéenne se dégage alors nettement du projet littéraire ″moderne″ de type journal (Pavese), diégèse par enchâssements (Proust) ou flux mémoriel (Joyce). La rupture (coupure, écart, saut, déchirure) devient un élément générateur du texte qui procède par battements et intervalles.

 

 

Rupture : coupure/écart/saut/déchirure

 

 

         Dès lors l’auteur ne pouvait que rencontrer le cinéma et la science (ou la logique) du montage cinématographique : nous sommes à l’automne-hiver 2010-2011 et voici que sont mis en chantier presque simultanément Kubrick’s cube qui sera édité en 2011 et dyade, etc… qui sera achevé à l’automne 2014.

         Le projet de Kubrick’s cube tient dans son titre, car chez Roussilhe le titre n’est pas un signe vacant ou séducteur, c’est le programme lui-même Le cube Rubik a été inventé en 1974 par l’architecte hongrois Ernö Rubik, il se compose de 26 cubes (il n’y a pas de cube central) qui pivotent et possèdent un état ″idéal″ proposant une couleur uniforme par face du cube (bleu/rouge/jaune/vert/orangé/blanc). Cet objet est donc un parfait modèle de conceptualisation et d’écriture :

-         il s’érige en espace tridimensionnel…

-         …mouvant…

-         …possédant un ordre logique,

-         un ″programme″ …

-         …sans incidence sur sa fonction.

En d’autres termes la richesse ou la complexité de l’objet ne tiennent en rien à un quelconque effet de savoir, mais seulement à une capacité à la remise en ordre, fût-ce d’un ordre sans objet, a-symbolique et non productif. Ou d’un ordre dont on voudrait nous faire croire qu’il ne possède aucune incidence symbolique, l’auteur Roussilhe, à intervalles réguliers, interpellant ou prenant à témoin le lecteur de la prétendue vacuité symbolique ou sémantique de ce qu’il est en train de lire : « … Pour quelle interprétation ? Comment arranger ça ? » (Kubrick’s cube #6, p.8.).

 

 Manipuler le cube de Rubik c’est s’absorber dans l’oubli du monde et demeurer attentif, éveillé pour une tâche qui procède d’elle-même et s’abolit dans sa propre effectuation. La suspension du sens et le court-circuit de la présence au monde qui en résultent ne sont pas alors sans évoquer le refoulement. L’absorption du sujet dans la recherche de l’″état idéal″ du cube de Rubik -la stase monochromatique- est une sorte d’hallucination sans image et sans désir.

 

Le cube de Rubik, s’il renouvelle la passion roussilhéenne pour les objets mathématiques et la géométrie dans l’espace, donne la forme du coffret des 6 livrets mais offre aussi le programme de fonctionnement textuel de chacun de ces livres. Il suffit de faire pivoter les blocs (les pages) et les cubes (les voix, les séquences, les mots) pour trouver un état idéal,  celui que recherchent confusément mais obstinément à travers leur déambulation erratique :

→ Tom Cruise (Bill) dans le film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut ;

→ ou Florestan, le héros de la nouvelle d’Arthur Schnitzler (Traumnovelle, ″Rien qu’un rêve″) ;

→ mais aussi celui qui habite l’inconscient des auteurs (Schnitzler-Kubrick)

→ et, bien sûr, … de l’auteur Roussilhe).

 

5. Data

Dans cet ouvrage, l’intuition sollicitée chez le lecteur s’apparente au doute : doute quant à la lecture elle-même et à son exercice linéaire, doute quant à l’émergence d’un sens sinon narratif du moins stabilisé.

Nous avions déjà remarqué, à propos de cet ouvrage que la page 1 (non numérotée) présente en distribution spatiale 44 dates, entre le 19 01 1972 et le 06 08 2012. Ces deux dates, comme deux barrières extérieures, correspondent, pour la première, à la date de naissance de l’auteur (du moins pour le jour et le mois) et, pour la seconde, à la date du jour de réalisation (ou d’inachèvement) de Data.

         Cette dernière date, celle de l’acte créatif ou, plus prosaïquement, de l’instant présent (du hic et nunc provisoire) est encadrée. On la retrouvera encadrée de la sorte lors de sa répétition  page 16 . On peut supposer alors que la date sur la page en vis à vis renvoie à l’année de naissance de l’auteur : 1975. Dès lors, par déduction, la date du 30 09 (30 septembre, accolée faussement à la date de naissance), semble posséder un intérêt symbolique particulier.

         De fait, Data introduit dans les recherches d’écriture de Roussilhe une sorte de branchement parallèle ou d’ouverture transversale sur l’espace des jeux avec les nombres. La numérologie, à l’évidence, passionne l’auteur et elle est à l’œuvre en permanence : opposition des chiffres arabes et latins, dépagination (suppression des nombres), usage du dièse (croisillon, hash, pound sign) comme pour numéroter les 6 livrets du Kubrick’s cube. Le dièse est particulièrement intéressant en raison de son organisation spatiale qui le rapproche des carrés magiques  et bien sûr du Rubik cube.

         Et, bien entendu, qui le rapproche ou l’identifie à la grille chère à Roussilhe car elle est le signe même du programme. Souvenez-vous : « Tu commences lentement par la collecte et l’arrangement de ces notes éparses en une sorte de grille -trame- quelque chose comme un échafaudage » (Kubrick’s cube #1, page 8).

         Dans son mutisme Data expose la machine roussilhéenne. Le lecteur invité à ″composer sur la dernière page (…) son poème numéral″ est donc conduit sur une fausse piste car les dates fonctionnent comme un chiffrage et renvoient à des événements, des nœuds temporels, points de passage d’énergies affrontées qui se croisent et s’inversent comme dans le ruban de Möbius. On peut aussi considérer que ces événements et nœuds temporels sont biffés ou tus, réduits au silence en tout cas. Mais, observez-le bien : tandis que l’événement est tu, un index numérique pointe ce mutisme. Les chiffres sont-ils alors autre chose qu’un mode d’apparaître du secret et donc du refoulement ?

 

 

 

 

3. Temps et Vérité dans le texte roussilhéen.

L’ouverture du [Y]

 

 

         Mon titre est, je le reconnais, quelque peu mystérieux : quelle est donc cette fameuse « cryptyque ». en quoi consiste-t-elle ? En quoi pourrait-elle être l’image même, exemplaire, de l’œuvre (l’opus) de Jean-Philippe Roussilhe ?

         Le mot ″Cryptyque″ apparaît sur la couverture de Turing’s Vita Brevis  :

 

TURING’S VITA BREVIS

 

(1912-1954)

 

 

 

- CRYPTYQUE -

 

 

         Il s’accorde évidemment au ″sujet″, si l’on peut dire, de ce texte lié à la personnalité de Turing, cryptographe célèbre pour avoir réussi à casser les codes de la machine Enigma par laquelle les nazis encodaient leurs dépêches militaires durant la seconde guerre mondiale. On estime parfois que le travail de Turing aura contribué à abréger cette guerre de deux années en rendant possible une efficace guerre secrète avant les débarquements en Afrique du Nord (novembre 1942), Sicile (juillet 1943) et Normandie (juin 1944).

         L’adjectif ″cryptique″ renvoie à ce qui est « caché, codé, occulte, secret » ; mais désigne aussi ce qui est relatif aux cryptes, aux tombeaux, grottes et catacombes. Le code, le chiffrage et le secret d’un côté, la profondeur, l’enfouissement et la mort de l’autre. D’une certaine manière ces deux dimensions, comme nous l’avons observé tout à l’heure, étaient déjà présentes dans Stè\les.

         Le vocable Cryptique désigne la science du chiffrage et du déchiffrement.

         Cryptique avec un seul Y.

         Mais le texte roussilhéen, lui,  invente une ″cryptyque″ avec 2 Y :

CRYPTIQUE / CRYPTYQUE

i  /  у

         Le i, petit bonhomme bien droit surmonté d’une minuscule tête est remplacé par un y, sorte de fourche, de bident, de carrefour. Ouverture de la Monade. A la concentration succède la dispersion, à la fermeture l’ouverture, à l’unité le dédoublement. Comme nous considérons que dans la machine roussilhéenne : (1) rien n’est ″faux″ et (2) tout fait sens, nous postulons donc que ce mot au Y redoublé désigne en réalité le travail même du texte roussilhéen, son mode de fonctionnement le plus intime marqué notamment par l’effet-miroir (comme nous l’avons vu pour Turing’s Vita Brevis) et la bifurcation, mais aussi par le dédoublement et la gémellité.

 

         Prenons deux exemples.

         1. D’abord celui du fonctionnement de Vert bouteille, bleu Klein, le deuxième ouvrage de l’auteur.

         Nous lisons dans cet ouvrage, au point de conjonction des deux bandes d’écriture :

 

         «… nécessité de faire un choix entre deux bandes de papier surfaces liées entre elles d’une façon particulière de manière à obtenir quatre parcours de lectures circulaires interrompus par deux points nodaux ; parcours arbitraire de lecture – que l’on pourra symboliser par deux ellipses entrelacées jouant sur l’indécision née d’une erreur de traduction qui sans jouer sur les mots nous désorientera dans un propos troublant plaçant ces mots sous le signe d’une narration duale. Ainsi d’un quelconque point nodal vous continuez votre lecture aléatoire en choisissant finalement la bande 1 : …/ la branche mathématique de l’exposé… ».

 

         2. Le deuxième exemple est bien connu de vous puisque les lectures à 6 voix du texte de Roussilhe organisées par La Fabrique Poïein (par Gérald Castéras) ont mis en évidence de manière nette la polyphonie d’écriture du texte roussilhéen.

         Dans le Kubrick’s cube le sujet de l’énonciation –la  ″voix″– est tour à tour :

- celle de Kubrick scénariste;

- celle du narrateur précisant son rapport au film, souvent revisionné de nombreuses fois ;

- celle du spectateur (du film)/lecteur (du livre dont procède le film) confrontant les deux créations ;

- celle de Kubrick interrogeant son travail

- celle du narrateur évoquant son rapport au livre, à ″l’œuvre originale″ comme dit parfois Roussilhe ;

- celle du scripteur (Jean-Philippe Roussilhe) considérant son propre travail d’écriture avec ses indécisions, ses manques

         Le passage d’une voix à une autre s’apparente alors aux manipulations du Rubik cube et à la recherche, difficile, à la fois souhaitée et parfaitement vaine, d’un cube aux six faces enfin reconstituées dans leur monochromatisme ″d’origine″  [6 (voix) x 3 (livrets/parties) = 18]

 

         Déplacements, distraction de sens, épanchement, aiguillage textuel : ces figures d’assemblages sont des opérateurs d’extension et de désorientation de l’écriture-lecture. Comme s’il convenait par dessus tout non pas de brouiller les pistes mais d’en extraire des possibilités de diffraction, de dédoublement. Comme si pour chaque histoire (ou récit) donné existait nécessairement, quelque part, une autre histoire, un autre récit légitime, tout aussi valable et nécessaire et donc tout aussi vrai.

         « … les idées se bousculent – tu te sens porté par le récit ; une forme, arrêtée après t’être cassé la tête sur une série de constructions abstruses, qui te plaît – sans pouvoir trancher sur le chemin à suivre… » (D.O.U.L.E.U.R.S., Kubrick’s cube #2, page 16).

 

         Il est possible, il serait donc possible dans l’écriture et sans doute dans la vie elle-même (car telle est bien la question) de pratiquer la bifurcation, la traversée des miroirs, l’inversion des aspects, bref il serait possible de changer de vérité. De changer de vérité car chaque vérité a besoin d’un être tandis que plusieurs êtes coexistent en chacun de nous. Ou, pour être plus précis, dans le temps d’une vie la vérité change car l’être bifurque pour continuer à exister et ne cesse de se recommencer. “Je est un autre” : la vieille formule de Rimbaud possède pour Jean Philippe Roussilhe un sens profond et définitif.

         Deux concepts ou deux matériaux  sont au cœur de ce dispositif, celui de Temps et celui de Vérité :

Temps ←[Secret]→Vérité]

 

 

         Quiconque entreprend la lecture d’un texte de Roussilhe ne peut qu’être frappé par l’émergence de situations (d’évènements, précisément) où les personnages, en quête de vérité sur eux-mêmes et sur la stabilité des signes du monde, sont aspirés dans des processus temporels qui s’organisent presque à leur insu et privent le sujet de tout véritable accès à sa propre connaissance.

         C’est comme si la vie de l’individu changeait régulièrement d’aiguillage… ou de code de fonctionnement, un peu selon le système de cryptage appelé ″one-time pad″ (la clé jetable) où, ligne après ligne, on n’utilise jamais la même clé, comme dans le carré de Vigenère [Blaise de Vigenère, 1523-1596] que Roussilhe connaît bien et auquel il renvoie discrètement.

         Si le codage -à des degrés différents : de la numérologie alternée au cryptage numérique- est une des ressources majeures du texte roussilhéen c’est parce qu’il expose de manière efficace ce dont il est la métaphore : à savoir la vie intérieure de l’individu et la vie collective en société.

 

CRYPTYQUE

 

 

         C’est-à-dire l’espace d’une vie qui dans le temps apparaît dédoublée, en miroir, mais qui procède cependant d’un souci unitaire de vérité. D’une vérité qui pour n’appartenir qu’à soi-même et en dépit de ses transformations, de ses errements, persiste à éloigner les cauchemars et à s’ériger comme monde habitable.

         Car, en dépit de toutes les tribulations et de toutes les errances, il est impossible de se perdre dans la faute, ainsi que le savaient Kafka et Joyce, puisque la conscience cherche vainement les obstacles à sa propre réalisation et n’en trouve d’autres qu’en elle-même. Obstacles d’ailleurs toujours déjà inaccomplis et comme défaits.

         Dans la tradition hermétique le Y (i grec) des alchimistes désigne l’Androgyne ou l’Hermaphrodite mercuriel. C’est une figure de l’Alchimie intérieure et désintéressée, vouée éternellement à la purification de l’âme. Un vieux manuel d’Alchimie nous le précise : “L’Hermaphrodite, semblable à un mort gisant dans les ténèbres, a besoin d’un feu”.

 

                   Je laisserai pour finir la parole à Jean-Philippe Roussilhe  

 

«        Danny devant

                      trace dans la neige

                                             ruse de sioux

          l’esprit des lieux

 

                      marche sur ses pas à reculons

traverse le mur végétal »

[K’c 5, p.34]                                                   

 

  

 Michel Cegarra / 21 décembre 2014

 

 

© les auteurs

 

 

La suite de cette étude, portant sur dyade, etc... ouvrage seulement évoqué ici,

a été écrite en décembre 2016, prononcée à la Fabrique Poïein

le même soir que l'étude de Michèle Bardelli (consultable ici).

Cette conférence intitulée "de quoi dyade, etc... est-il le nom ?" est disponible ici.