[ poïein ]
guy calamusa
TRADUCTION
Article de Toni MARAINI (Roma, juillet 2011) pour l'exposition à Querceto (Toscana, Provincia di Volterra) 17 juillet-7 août 2011): Une dramaturgie entre enchantement et désenchantement Les racines de Guy Calamusa se ramifient à travers la Méditerranée. Cet enchevêtrement de frontières et de territoires, ce mélange diffus de souvenirs est symbolisé à travers une narration picturale à la fois forte et fragile. C'est un peintre de grande sensibilité, et chacune de ses formes les plus minimales, chacune des ses images, traces est un signe, ou plutôt un « signal » de sensations profondes, de perceptions difficiles , de souvenirs qui émergent entre zone d'ombre et de lumière . Son travail exprime un « déracinement intérieur » qui semble envahir chaque chose, jusqu'au désordre graphique qui renvoie à une errance dans des territoires inconnus. Cependant, à y bien regarder, on pourrait affirmer qu'en réalité c'est le monde extérieur – tour à tour capté comme fabuleux et grotesque- qui est déraciné et désorienté, alors que sa nature intime possède une liberté primordiale et s'adresse aux choses avec un dénuement ingénu . Dans cette dramaturgie tendue entre enchantement et désenchantement, entre espace intérieur et extérieur, on peut deviner une dramatis persona qui habite le peintre, le traverse et qui est « signifiée» dans les représentations de quelques petites créatures - la plupart du temps des oiseaux mais pas seulement - qui semblent migrer, aborder, observer, voleter entre des images de pesanteur profonde et des symboles d'élévation esquissés à travers des échelles, tours, arbres, plantes et coins de ciel. Parfois, en un dévidement de lignes , de teintes délicates , un sautillement maladroit d'oiseaux aux pattes filiformes introduisent des touches de tendre ironie et de légèreté. Nous pensons ici aux séries de peintures avec des oiseaux en équilibre incertain sur des barques en forme de demi- lune qui naviguent le long des rives d'un non-lieu. Le peintre, qui sait saisir le tragique et et l'absurde - et ici nous pouvons évoquer un pathos artistique bien sicilien – exprime également des parodies minimales et des enchantements légers. Ses narrations semblent en perpétuelle recherche de points de repère et d'appui, de lieux de fuite, de halte et de refuge à un voyage incertain et surréel qui, en définitive, est celui de l'existence. A ce propos, on a parlé de cartographies imaginaires et de « topographies de l'ailleurs. » En effet, les espaces sont souvent organisés comme des cartes d'orientation... Etranges cartes cependant! Semblables à des cartes au trésor de notre enfance constellées d'énigmes avec des flèches qui vont dans des directions opposées, des indices ténus et sibyllins, et un tournoiement de références où le mot récurrent « eau » désigne la métaphore d'un trésor plus précieux. La narration picturale de Calamusa possède une parfaite cohérence. Le trait et le dessin, les mots tracés à la main, la composition « libre » et plane sans perspective, évoquent le dessin de l'enfance, de même certaines images décharnées et stylisées, signes archétypiques des origines de la pictographie. Ces caractéristiques formelles sont résolues dans un style personnel d'où il n'émerge aucun artifice mais du naturel. C'est là que réside l'originalité de son art . Dans certaines œuvres plus récentes, nous assistons à un développement de sa force poétique et narrative. La scène est devenue plus complexe, la dramaturgie plus grave, l'histoire plus précise et la matière picturale – formes, signes, structures et surtout les couleurs - plus élaborées. Cela ne nous surprend pas. Le peintre ne pouvait qu'enregistrer les événements actuels qui secouent la Méditerranée et se reflètent jusqu'au cœur de son univers intérieur. Dans sa Méditerranée du voyage et du retour, de la mémoire et des sentiments, des lieux et des gens, le monde de l'enchantement est en émoi. Le désenchantement progresse, lumières et ombres se polarisent. Calamusa réussit à exprimer cet effarement, cette tension. Dans le tableau Le chaos , l'oiseau, en fuite, ne sait plus éviter le chaos imminent et (ré)apparaît en une petite silhouette humaine stylisée. Un avatar de l'oiseau ? Peut-être, mais un personnage plus grave, désarmé et solitaire, qui cependant résiste, « debout », surplombant de haut les silences et les clameurs. Encore une fois, la perception oscille entre enchantement et désenchantement. Dans le retour aux lieux de l'enfance, la silhouette se trouve associée aux teintes sombres de la guerre. Par contre dans les dessins sur papier Casablanca, Boulevard de la mer, Le départ, elle se réfugie au contraire dans des souvenirs, mémoires et lieux envahis de très beaux coloris bleus. Et si dans les derniers travaux, on n'entrevoit plus l'innocent sautillement des oiseaux c'est que, comme l'écrit le peintre de retour du Maroc, « derrière un monde apparemment tranquille couvent le chaos et la décomposition . » L'univers du peintre renvoie à cette Méditerranée faite de crises et de déchirements, de conflits amers et de rêves de traversée. Les compositions du peintre traduisent la souffrance d' « un voyageur invisible » confronté à un climat d'intensité dramatique palpable. Le cordon ombilical qui le lie au Maroc est profond; s'il n'existait pas, il serait un énième touriste qui peint et voyage en Méditerranée, alors qu'au contraire Guy Calamusa est un artiste de grande sensibilité qui en capte les songes et les douleurs sur la scène du véritable voyage de l'existence.
a illustré le volume 102
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