Sept sonnets centons vaguement commentés

 

 

j’ai butiné comme une abeille

sans aucune délicatesse

des vers de quatorze poètes

pour écrire un sonnet paresse

en m’épargnant de longues veilles

 

j’appelle ces sonnets centons

car aucun mot ne m’appartient

seulement leur arrangement

soumis à la règle du lien

des rimes qui donnent le ton

 

c’est comme si cent nommés on

s’attelaient à même timon

pour sauver un lourd charreton

prisonnier d’un tas de démons

à coup de hisse à coup de hon ! 

 

 

 

(centon 1)

 

mon âme sur ma lèvre veille

papillon du parnasse, abeille

mêlée aux roses de jeunesse

asservie par délicatesse

 

cette humeur et ce goût de brume

et paris au loin qui s’allume

odeur du temps brin de bruyère

petits chevaux au train d’enfer

 

je suis ton humble serviteur

matelot enclin à la peur

que la mémoire est difficile

 

ô matin neuf déjà rongé

d’une grande ville apaisée

une fois prises les bastilles

 

 

 

 

 

(centon 2)

 

sur le noël, morte saison

la nuit s’enfuit et ses douleurs

vêtues d’une même couleur

de profundis, vaines chansons

 

un jour passant mélancolie

je la trouvai de liesse pleine

qui beauté eut trop plus qu’humaine

je ne la vous nommerai mie

 

vieux monument qui soutenez

du céleste ouvrage l’objet

fils de la nuit et du silence

 

à mes dépens las je vois bien

que nous n’avions manqué de rien

qu’un débordement de licence

 

 

 

pillez ne vous retenez mie

pillez les vers d’autrui pillez

de profondis, chanson d’amour

cueillette d’herbe, épis de blé

tous les poèmes sont amis

 

ressuscitez strophes lointaines

revêtez de nouveaux atours

pour le meilleur ou pour le pire

un centon redonne le jour

à votre grâce trop humaine

 

rythme bancal, rime enfantine

je pianote sur le clavier

à mes côtés l’anthologie

« de sainte eulalie à genêt »

sortie d’une froide cantine

 

 

 

(centon 3)

 

si je sortais que ferais-tu ?

il me faudrait de la vertu

montagne encerclant ton regard

du long orphelinat des gares

 

le bruit des baisers éperdus

au loin un silence confus

lanternes sur les chemins noirs

mon beau navire ô ma mémoire

 

les mille insectes de la pluie

descendent tout droit dans le feu

l’absurde durée d’une nuit

le verre n’est jamais si bleu

 

dans l’attelage d’un autre âge  

que de s’étaler sur la page

 

 

 

petite chanson sur huit temps

mêlant les temps et les espaces

brouillant la ville et la campagne

vol d’hirondelle aile de rapace

images dérivant en rangs

 

regard de biais tuiles des toits

obscurité chambres voûtées

et le lent tracé de l’histoire

comme un fragment de voie lactée

qui se perdrait au fond des bois

 

j’aligne des octosyllabes

en m’appuyant sur le hasard

cela fait-il une chanson ?

que trouve-t-on dans ce bazar ?

la poésie est-elle un crabe ?

 

 

 

(centon 4)

 

la lune au milieu des fusées

enfonce sa clé dans le cœur

la joie rencontre la douleur

du souvenir dans la pensée

 

ne crains point, mon esprit, d’entrer

parmi ces promenoirs sauvages

nul trouble n’émeut mon courage

viens, belle, viens te promener

 

laisse entrer l’air de la croisée

tu ne dois pas être étonnée

de ces plaines ou de ces bois

 

bercés par un chant monotone

nous avons oublié l’automne :

un grand secret, le temps c’est toi

 

 

 

dans le sonnet centon

ce n’est pas la syntaxe

et encor moins le sens

qui la forme malaxent

lui assignent un ton

 

le premier vers est pris

dans une anthologie

ce premier os posé

place à la chirurgie

la logique aux abris

 

on recherche illico

un vers de même mètre

(en l’amputant s’il faut)

qui prêterait son être

à l’initial flambeau

 

alors les rimes jouent

en arbitre des places

imposant le schéma

des lignes dans l’espace

des baisers sur les joues

 

c’est pas signé bocuse

encor moins mallarmé

c’est seulement un jeu

qui permet d’explorer

les dessous de la muse

 

 

 

(centon 5)

 

la campagne se tait  j’en conjure la paix

ô vieux pays gardien de tes mœurs domestiques

chaque courant est un sentier vers mon palais

flottant dans la vapeur sur des monceaux de briques

 

pas une herbe ne pousse et pas un brin de mousse

nous n’avons plus besoin d’images pour aimer

et c’est une harmonie étrange et pourtant douce

que le soleil mûrit à l’ombre du verger

 

on n’entend que le bruit de l’insecte incertain

l’oreille n’entend plus les murmures humains

que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

 

elle entrera troublée et voilant sa pâleur…

oh là là que d’amours splendides j’ai rêvées

baisers montant aux yeux des mers avec lenteur

 

 

 

j’ai très peu de poèmes

dans les chambres de ma

défaillante mémoire

j’ai donc recours à la

béquille de la flemme

 

fouille d’anthologies

grappillage de vers

et taille à la serpette

(du velours sur le fer)

puis colle à la bougie

 

lecture survolante

picorage d’oiseau

recherche d’une rime

petit coup de ciseau

composition très lente

 

et durant la recherche

arrêt sur telle ou tel

lecture jubilante

puis retour au réel

accrocher à la perche

 

de la forme sonnet

une fragile image

une sonorité

sans trop jouer au mage

et sans trop pavaner

 

 

 

(centon 6)

 

sous la glycine et le cytise

amour pourquoi m’avez-vous prise 

sur un chemin toujours mouvant

irréprochable assurément

 

dans l’immensité du ciel bleu

flamme je fais ce que tu veux

à te voir marcher en cadence

musici-enne du silence

 

un chien aboie aux feux follets

grand soleil les volets fermés

au tour des baisers de s’entendre

 

missels des siècles disparus

écoutez donc les bienvenus

leur joie a le goût de la cendre

 

 

 

état de mutité

revenir à l’enfance

répétition de sons

et jeu de la relance

des mots qu’on a captés

 

non l’imbécillité

mais une sorte de

repli sur le hors-sens

laisser la langue se

rétracter dilater

 

panneaux dans un jardin

signaux dans une rue

affiches au hasard

animaux dans la nue

pratique du festin

 

tenter de non-écrire

en alignant des mots

c’est jeu désespéré

émaux rameaux plumeaux

dire et puis se dédire

 

 

(centon 7)

 

le ciel se replie

au vent du matin

braises de satin

au cou des jolies

 

rire enseveli

c’est comme la cloche

au fond d’une poche

regina coeli

 

les secrets pensers

dont l’âme s’effraie

paix des palmeraies

et soleils mouillés

 

rouge sous les roses

la douceur des choses

 

 

 

je ne sais trop quoi

capte mon oreille

ordonnant le flou

murmure d’abeille

dans le fond des bois

 

butiner les vers

au hasard des pages

guidé par le son

voila un usage

proche du pervers

 

 

 

23/09/2020

gérald castéras