[   poïein  ]
    Gérald CASTERAS

       REDITES

  

  1/ Le regard       

Ses yeux de lac

Ses yeux de lune rousse

Ses yeux de boulet noir

  Ses yeux grains de raisin sous le front de la treille

Ses yeux de jeune fille de plus de deux mille ans

Ses yeux qui ne voient pas ce que je pourrai voir

Ses yeux qui ont connu l’attente du désert

Et puis

Ses seins que j’aimerais toucher

 

2/ La dissolution

Buée des feuilles mortes

Effritement des fresques

 

Lent retour à la cendre

 

Le ciment se délite     strate à strate

Les murs s’écroulent mue de serpent

L’encre pâlit au front de la mémoire

 

Fermer la main sur de tout petits riens

 

Le baquet des musées

Les malles emplies de hardes

L’iris évanescent

 

Le ciel bleu délavé céruléen ciré

 

3/ L’effacement

Sous les plis de la toile campe le manque

Dentelle d’états aux frontières cisaillées

(tu découpes d’anciens tableaux pour en faire de nouveaux)

Noir profond

Blanc céruse

Strates sans fin

Palimpseste

(tu repeins sans fin sur des tableaux anciens)

L’inceste couturé des sous entendus

Danse d’un petit pas chassé

Le tango des regrets

Sous la toile je rêve

Effacement surgissement des rives

 

4/ La joie

Le lézard au soleil entortillé de mousse sur un plot de béton

Le lierre aventureux grimpant l’himalaya des murs de la maison

L’herbe tondue très ras dans le soir qui se couche et les oiseaux curieux

Le double trait de craie des avions dans le ciel perdus dans le silence

L’huile aux couleurs de plantes qui pénètre la peau et plisse le passé

 

  5/ La géométrie

 

Le   chaume  rasé     de    la  rondeur  des  nuits

La conque des puits d’air  et leur langueur de lait

La toison de pétales au bord des sources sèches

La  mousse  dans  le  creux des collines jumelles

Le  friselis  des  buis   sous    la  langue  du  vent

La   ligne  des  iris     à      la  jointure  des  pluies

Le bouquet de bouleaux  dans  l’échancrure noire

Le  plissé  de  l’aubier   sous   la  pesée des cieux

La            langue           de          terre         rose

La  cassure  des  oiseaux  quand  ils frôlent le sel

La double courbe des ponts à l’aplomb de l’abîme  

 

6/ Elémentaire

  La peau de l’eau lustrée par le chiffon de l’air

La peau dure de l’air quand le soleil est blanc

La peau nue du soleil lorsqu’il lèche la terre

La peau veinée de terre de la fleur sans odeur

 

La peau d’entre tes doigts fragile blessure de jour

La peau de tes paupières hier cachant demain

La peau au double rire où s’ouvre ton jardin

La peau de daim fuyant qui ombre tes épaules

 

La peau veinée de gris d’une ardoise vieillie

La peau des livres ouverts qui gardent leur secret

La peau tremblée des corps qui surgissent du rien

La peau de l’au-delà qui affleure parfois

 
7/ Le silence

 

L’amande des cheveux la broderie des cils

Les lèvres entrouvertes au parfum de verveine

Le golfe aux flancs de craie une touffe d’ajonc

 

Le crissé du crayon la huppe qui festonne

 

L’arène souillée de sang l’ombre et le soleil

L’éclair têtu des mains le parfum du jasmin

Les lèvres qui remuent le vertige des yeux

 

Un nuage s’en va l’hirondelle est perdue

 

8/ La présence

Une femme s’en vient un tissu à la main

Les jambes à moitié nues les cils ourlés de pleurs

Elle essuie la face de celui qui était

Bouge un peu ses lèvres pour susurrer son nom

Elle passe le lin sur la face éphémère

Elle embaume les fleurs et l’aurore qui se tait

La poussière des rues s’agrippe à cet instant

Où l’oblique se tend vers ce qui est passé

 

9/

  Marie d’Egypte nue fendue par le dieu Nil

Marie esseulée nue succulente épineuse

Marie la transe percée les yeux hallucinés

Marie aux fesses blanches tremblantes autour du creux

Marie au sexe noir fermé sur son mystère

Marie nue crucifiée les mains dans le ciel bleu

Marie pâle aspirée par l’altier charbonnier

Marie battue des vents et des voix d’horizon

Marie aux seins cailloux dans le nu du désert

Marie engloutie nue dans son fourreau de nuit

Marie la crue dans le creux du néant

Marie la noire dans les pattes des lions

Marie la caressée d’un doigt sur le vélin

 

 

10/ La vocation

 Sur la coupelle de porcelaine deux gaufres

Au teint d’hostie

Dans le cristal s’inversent

Les volutes de l’encens  des cigares

Les murs blancs

Les étagères rangées

La cire des abeilles

Les couleurs les soies

Les cartes en escalier

Les icônes dormantes

L’éclair est la loi de ce désert

La graine d’un fruit de la passion

 

Les messieurs s’éclairaient à la lanterne sourde

(Port-Royal des champs rasé en 11 de 1700)

 

L’infini sonne ici dès que le jour se lève

(Le jusant des matines)

A l’orée des granges

11/ Le désir

 

Le cabanon d’été plein de mouches assommées

La fente des volets        Papiers virant au blême

Le puits noir des pupilles

  La mer au fond comme un air bégayé          

L’odeur - foin sel suint thé vert       La peau

L’extrait laiteux du four originel

 

12/ L’émotion

Le claquement gris sec d’un pigeon sur ma tête

Les traits aux yeux marcheurs d’un poète lucide

Un rideau de tulle blanc dans le vent du midi

              La déchirure d’un haut laisse fuir ton sein

 

Tes mains à peine ouvertes l’éclat du soleil

L’angle fermé des murs de la vieille maison

Les arbres qui se plient sous le fracas du vent

Ma main sonde la pluie qui passe sur le seuil

 

Les mots griffés de sang dans le coin d’un tableau

Le tremblement de thym d’un sonnet dans l’été

L’odeur du géranium dans le lointain des monts

Ton regard se pose sur les failles du monde

 

13/ La finitude  

Sous tes cils entrouverts la pâleur du sous-bois aux caresses de mousse

Sous ta robe fendue ce jouet de main

Sous le porche des dents la rousse involution d’une parole mince

 

Le jour est un fruit mûr vidé par les dolents

Une dentelle de mots pendant sous un figuier

 

Sous la mer ensablée la rouille des poissons et l’épine du miel

Sous les voûtes du thé la volupté transie

Sous la ceinture carmin le tremblement de lait des vierges au goût de sel

 

Le jour est le torrent qui fripe les papiers

Qui fige les abeilles dans leurs jaunes élans

 

Sous la  peau des peintures les veines du hasard

Et les couleurs fanées

De l’air

   

14/ Les fondations

 

Ce serait le déclic du pêne de la porte

Ce serait le grenier plein de malles fermées

Ce serait la succion des lèvres du bébé

Ce serait l’irruption dans le château de Cène

Ce serait la membrure de l’arche de Noé

Ce serait le jardin qui porte un nom de terre

Ce serait le linge sang que fixe l’œil du taureau

Ce serait ce vase d’or dont on ne sait l’usage

Ce serait la salive des lèvres d’une langue morte

Ce serait le regard de Colomb et ses larmes

Ce serait la giclée de lait dans les étoiles

Ce serait le silence d’où l’on ne sort jamais

Ce serait la première d’une longue série de fois  

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