[ poïein ]
Gérald
CASTERAS
N & B
Noces
et Banquets
N.uancier
Lilas veiné des nappes damassées.
Traits éteints de l’argent des couverts.
Carafes en cristal pleines d’un ciel violet.
Brillants bijoux de table, les citrons hérissés.
La mariée à la chair tachetée de rousseurs.
Son bustier blanc ivoire.
Ses yeux passés au noir et ses lèvres très rouges.
Le bleu vert de ses yeux, comme une mer assise.
Ses ongles laqués bistre à la forme d’amande.
Le marié près d’elle dans son costume gris perle.
Les dents derrière les lèvres, barrière de corail.
Pas encore les desserts mais le cuivré des viandes.
La lumière de couchant des bougies capucine.
Les conviés au banquet pas encore cramoisis.
Les plats veillant dans l’ombre.
Les serveurs couleur cire, les serveuses aux bras fauve.
Les jambes sous la table, les dessous terre de Sienne.
Le souvenir du lit et des draps indigo.
O.uvertures
et clôtures (prélèvements).
Xénophon.
Le banquet. Vers -370.
« Ayant aperçu un groupe composé de Socrate,
Critobule, Hermogène, Antisthène et Charmide, Callias dit : « L’heureuse
rencontre ! je reçois tout à l’heure à dîner Autolycos et son père
et je pense que la fête que j’ai préparée serait bien plus brillante encore
si ma salle à manger était ornée de la présence d’hommes à l’âme
purifiée comme vous »…………(repas,
colloque, spectacle érotique)……… « Quand les convives les
virent serrés et s’en allant
comme pour gagner leur couche, ceux qui n’étaient pas mariés jurèrent de
prendre femme, ceux qui l’étaient coururent rejoindre la leur. Socrate sortit
avec Callias pour se promener. C’est ainsi que se termina ce banquet ».
Rabelais.
Gargantua (chap.5).
Lors flacons d’aller, jambons de trotter, gobelets de
voler, brocs de tinter :
« Tire !
- Baille !
- Tourne !
- Brouille !
- Chantons, buvons, un motet entonnons !
- Où est mon entonnoir ?
- Je mouille, je humecte, je bois et tout de peur de
mourir.
- Buvez toujours, vous ne mourrez jamais.
- Si je ne bois, je suis à sec, me voilà mort. Mon âme
s’enfuira en quelque grenouillère. »
Zola.
L’assommoir. (chapitre 3). 1877
« L’ondée reprenait, la noce venait d’ouvrir les
parapluies, et sous les riflards lamentables, balancés à la main des hommes,
les femmes se retroussaient. Au milieu du grouillement de la foule, sur les
fonds gris et mouillés du boulevard, les couples en procession mettaient des
taches violentes, la robe gros bleu de
Gervaise, la robe écrue à fleurs imprimée de Mme Fauconnier, le pantalon
jaune canari de Boche ; la belle toilette de Mme Lorilleux, les effilés de
Mme Lerat, les jupes fripées de Melle Remanjou, mêlaient les modes, traînaient
à la file les décrochez-moi-ça
du luxe des pauvres… »
C.ollage
Léonard de Vinci. Réfectoire de Sainte Marie des Grâces.
Milan. La cène. Fin du quattrocento. La table, les murs latéraux ornés de
tentures oblongues, le mur du fond ouvert trois fois sur le paysage, le plafond
à caisson : une boîte géométrique. Caisse de résonance. Tambour.
Tympan. Mystère. Celui qu’on appelle Jésus, au centre des lignes de fuite,
les bras ouverts, la main gauche tournée vers le ciel et la droite vers le sol,
tunique rouge, manteau bleu. Couleurs passées. Les douze autour, par groupes de
trois. La trahison. Le repas perturbé. Le nid de frelons. Le nœud de vipères.
Suspicion et angoisse. Les mains, les regards. En partant de la gauche :
Barthélémy agrippé à la table, Petit Jacques montrant on ne sait qui, André
dressant les mains en rempart devant lui, Pierre se penchant vers Jean pour
chuchoter à son oreille, coinçant contre la table Judas qui tient sa bourse en
main. Césure. Jésus. Césure. Puis Thomas, Grand Jacques et Philippe, tournés
vers Jésus, mains dressées vers le ciel, vers l’autre, vers soi, et enfin
penchés au bout de la table, comme cyprès sous vent d’hiver, Matthieu, Thaddée,
Simon. Scène de tempête, de naufrage. La fresque lentement s’enfonce,
s’efface. Le mythe retourne à nulle part. L’unique
cordeau des trompettes marines. Séisme silencieux.
Philippe de Champaigne. Milieu 17 ° siècle. La Cène.
Peinte pour le réfectoire de l’abbaye de port Royal. Au Louvre maintenant. Là
tout n’est qu’ordre et clarté, paix, calme, tranquillité. La nappe, la
trace des plis sur le devant. Les dalles au sol. Le fond noir velouté. Les vêtements
clairs. Les tissus. Comme deux parenthèses, les corps torsadés au premier
plan. Judas, à gauche, bourse en main ; à droite, le dos d’un éphèbe
brun bouclé. Un pain dans la main, un broc sur la table. Recueillement. On ne
mange pas. On veille. On contemple à la marge. On ne comprend pas tout. La
peinture lentement luit dans l’œil. Dieux
puissants quelle étrange pâleur /de son teint tout à coup efface la couleur.
Daniel Spoerri. Repas hongrois, tableau piège. 1963. Les
plats avec des restes, les assiettes sales, les couverts maculés, la nappe
jaune souillée, les serviettes froissées, les verres, les bouteilles, les mégots
écrasés. La table horizontale basculée sur le mur. La mer de la veillée, tels que les seins d’Amélie. Les voyeurs
bousculés, ramenés au sol de l’exil des mythes.
E.mbrayeurs
Est-ce un
hasard si le mot « Cène »
est si proche de « Cana » ? L’a devient e , l’eau
devient vin et le vin devient sang.
Est-ce un
hasard si le vin de messe n’est jamais couleur sang ?
Est-ce un
hasard si le mot « Cène » est homophone de « scène » ?
Est-ce un
hasard si Jésus et Judas sont superposables
au trois-cinquième ?
Est-ce un
hasard la proximité des mots banque et banquet, bouche et bouquet ?
Est-ce un
hasard si le féminin de « festin » est « fesse teinte »,
le féminin de « banquet » « banquette » et le féminin
de « père » « la paire » ?
Est-ce un
hasard si noce veut dire « moitié » ou « demi » en
arabe ?
Est-ce un
hasard si festin et feston se suivent et se ressemblent ?
Est-ce un
hasard si le mot repas contient en lui le retour (re-) et le refus (-pas) ?
Est-ce un
hasard si copain est à l’ami ce que la mie est au pain ?
Est-ce un
hasard s’il n’y a qu’une minuscule ouverture entre l’âtre et l’être ?
Est-ce un
hasard si le sexe est très souvent un saxe (saveur, couleur, texture) ?
Est-ce un
hasard si « sexe » à l’envers se prononce « ex(c)ès »
?
S.onnet
Dans le soir estival c’est la noce qui passe
Les cailloux et le riz crissent sous les talons
Les hôtes rutilants occupent les salons
Et les chariots de tôle ont investi l’impasse
Sur les nappes de lin les apprêts culinaires
Les filles excitées mûrissent le dessein
De confier à des mains la douceur de leur seins
Les garçons voudraient bien mais ne savent y faire
La musique fanfare et l’alcool broie le noir
L’épousée sent monter le flot de son délice
Que l’époux lapera dans son précieux calice
Quand l’aube aura vidé la nuit de tout son noir
Les oiseaux matinaux prendront le jour en main
Et la noce épuisée arrêtera son train
Le recueil, composé sur les 15 lettres de l'expression Noces et Banquets, comporte quinze textes. On lira ci-dessus les cinq premier textes composant le mot NOCES.
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