Sous hypnose en premier commencement.
Une bouteille de plongée pour seul repas.
Apnée profonde.
Croisée des liquides bleutés, des liquides lumineux.
Synthèse idéale des entrelacements,
bouche à bouche des parents parents qui veulent un enfant,
un vrai enfant pour de vrai.
Couronnement de l’instant merveilleux, merveilleux et après aussi.
‘je me moi’ petit à petit, annoncé, petit à petit présent.
‘je me moi’ vivant.
Joie des parents parents, grande joie.
’je me moi’ bien joli dans le ventre-maman qui grandit.
Mais ‘je me moi’ construit aussi des châteaux de cendres.
‘je me moi’ pas tout à fait bien fait.
Les parents parents regardent par le ventre.
‘je me moi’ un peu bizarre.
Bizarre ils disent, un peu raté, pas très merveilleux.
Il faut le jeter, les parents disent, le jeter.
‘je me moi’ me met dans un coin petit, en trois petits doigts et le reste tout bien caché derrière.
‘je me moi’ le plus petit possible du monde.
Les parents cherchent partout, partout.
Pas possible, pas possible ils disent.
Alors le papa furieux retourne la maman, la secoue bien bien fort pour sortir le ‘je me moi’.
Le papa pas content il dit, tu le caches bien caché caché, hein c’est sûr.
Tu veux le garder c’est sûr hein et il quitte méchamment la maison parents.
Dans la maison maman, ‘moi je me ‘ tout mélangé, resté là tout petit, bouleversé, bien bien caché, personne ne le sait.
Tout seul, tout seul, le plus petit du monde.
Juan aurait aimé être à la table des matières.
1er Chapitre : C’est étrange d’être un animal
Juan, dans le compartiment. Quelqu’un est venu. Une femme.
Juan, une femme avec sourire entre-temps, avec sourire en contre-partie.
Une femme entre deux.
Une femme en contre-plongée, à croiser les jambes, à décroiser les lignes.
Une femme à frôler son pied.
Juan. Son pied. Une femme entre les tunnels.
Posée sur cuir rouge une femme
Au premier arrêt. Descendre.
Descendre le quai puis les rues.
Descendre les regards et les silences.
Monter et descendre la femme.
C’est étrange d’être un animal.
2ème chapitre : prendre le prochain, prendre la prochaine.
C’est étrange d’être immobile.
Le quai est reparti avec lui.
Juan. La femme était là.
Le tunnel a touché son pied.
Femme en cuir rouge, en lèvres rouges, entre deux vitres.
Les lignes se croisent entre les jambes.
Les trains vont et viennent.
Entre les femmes.
Prendre le prochain tunnel sans descendre de la femme.
Puis prendre la lumière à l’horizontale, à vif. Entre les cuisses.
Juan, la lumière, la prendre encore.
La lumière prendre la prochaine.
3ème chapitre : c’est étrange d’être sans arrêt.
Les rails et les femmes ont fini par rouiller, abandonnés sur les quais.
Les tunnels ne sont pas revenus.
La lumière a pris des teintes poreuses tout comme la peau de Juan.
Le cuir a fané. Le rouge aussi.
Un père en costume est venu.
Un père de l’allée centrale, avec siège et accoudoirs.
Un père pour prendre Juan dans ses bras.
Un père pour laver les pieds.
Juan et ses pieds sans père.
Mais Juan ne veut pas être du père, ni être de la mère non plus.
Juan ne veut pas des paysages qui défilent
Juan a soufflé sur la vitre. Juan ne veut pas finir.
Juan veut juste garder les pieds sales.
Juste rester un animal.
Je me suis fait greffer une femme.
Pour l’instant, il n’y a pas eu de rejet significatif,
Aucun symptôme alarmant.
Nous sommes provisoirement compatibles mais cela reste une équation à 2 inconnues.
Ce n’est pas très très confortable, mais je m’habitue.
J’ai pris quelque chose de très bien, de très adaptable. Le haut de gamme, de la très belle qualité.
Il n’y avait malheureusement plus de choix possible pour la langue d’origine.
Elle parle donc Finlandais et je ne la comprends absolument pas.
Ce n’est somme toute qu’un inconvénient mineur car je ne la fais jamais causer.
En fait ce qui m’intéressait surtout dans cette démarche, je l’avoue, c’était uniquement le plan sexe.
Pouvoir faire l’amour tout seul, être auto-suffisant et connaître la double détente comme le dit mon pote Gérard en rigolant en peu, ce doit être le pied.
Oui, Gérard est un peu trivial parfois.
Enfin tout cela reste quand même jusqu’à ce jour assez théorique.
En effet pour l’instant, je dis bien pour l’instant, la seule chose qui intéresse ma Finlandaise, c’est le réfrigérateur.
C’est insensé, elle dévore à tout heure. Et le pire, le pire, c’est que nous n’avons pas du tout, mais alors pas du tout, les mêmes goûts en matière culinaire.
Elle me réveille en pleine nuit pour engloutir 2 ou 3 harengs ce qui me donne une terrible nausée pour le restant de la journée.
Bref je dois en convenir, je suis depuis quelque temps un peu insomniaque.
Passe encore, je m’adapte au mieux.
Ce qui est plus grave c’est surtout la prise de poids. En 3 mois, j’ai déjà pris plus de 5 kilos.
Mais j’en viens au plus terrible.
Le plus terrible, c’est mon ami Gérard.
Depuis peu, il me pince souvent les fesses en cachette et il me murmure doucement avec un sourire étrange « hum, belle bête la Finlandaise ! »
Je m’étais trompé de prophétie.
Je croyais avoir pris un corps pour toujours, un corps sans mouvement.
Au début les enfants me prenaient pour un vieil arbre.
Ils accrochaient dans mes branches de petits rubans bleus sur lesquels
s’enroulaient leurs vœux.
Je riais avec eux et tout était là.
Mais dans l’automne tous les vœux finissaient par pourrir sous mes pieds.
Mon corps immobile, mon vieux corps d’enfant.
La nuit, la nuit, je levais les yeux.
Alors comme un rocher, oui comme un pauvre rocher, je levais les yeux.
Pour des foules bleutées j’enlevais mon corps.
Ohhhh ! j’enlevais mon corps.
Mais à la fin, à la fin, je revenais.
Alors, sans rien dire, tous les hommes avec moi sortaient doucement leurs mains pâles et fatiguées de leurs poches pour s’essuyer le front.
Les femmes retenaient leurs larmes en baissant la tête.
Le nuit, la nuit.
Mon corps revenu.
Parfois je prenais part au voyage, mais au fond rien ne bougeait.
Le hommes avec leurs mains, les femmes avec leurs larmes, tout était là.
Oui, au fond, rien ne bougeait.
Ce que le héros apporte à la mégapole
Marcel avait été désigné pour être l’homme visible.
C’était hier que cela s’était décidé et depuis toute une équipe l’avait pris en charge.
On l’avait hospitalisé sur le champ pour lui greffer des micros minuscules, des capteurs de toutes sortes, des caméras miniaturisées à l’extrême. On avait investi sur l’heure son appartement, son lieu de travail et les endroits où il avait l’habitude de se rendre. Tout avait été planifié de longue date et demain tout serait prêt à l’heure.
Marcel n’avait pas eu le choix. Il y avait eu une grande enquête au niveau mondial. Des sondages, des questionnaires, des examens, des enquêtes, des séances photos… tout cela s’était succédé pendant plusieurs semaines.
Et au final, Marcel avait été choisi pour incarner le plus simplement et le plus parfaitement possible l’homme ordinaire à l’échelle planétaire.
A partir de demain matin 0H00 une chaîne mondiale diffusera en temps réel et sans aucune interruption la vie de Marcel. Bien sûr chacun pourra aussi se connecter sur le net pour avoir immédiatement accès à ce programme.
Il a été décidé que l’émission durera jusqu’à ce que Marcel décède.
L’accès à ce qui se passe ici, maintenant, en toute circonstance, à toute heure et sans aucune censure. Voilà ce qui avait été décidé et voilà ce qui était une avancée considérable pour l’information.
23 H 59 mn 48 secondes. Antenne dans 12 secondes.
Premier jour de le vie de Marcel.
0H00
L’audience est énorme et ce malgré l’heure, malgré tous les décalages horaires. Cela dépasse toutes les espérances.
On découvre pour le 1ère fois l’appartement de Marcel.
Plus exactement sa chambre. Dans la pénombre.
Dans les studios une équipe de techniciens s’affère aux manettes et tout fonctionne parfaitement.
Marcel dort, sa respiration est régulière.
Zoom.
Zoom sur sa table de nuit. Il y a là un verre à moitié rempli.
Zoom
Zoom, cela semble être de l’eau. Il y a aussi un réveil et aussi un livre.
Très bon livre d’ailleurs puisqu’il s’agit du programme télé de la semaine.
Marcel bouge un peu.
Réglage de la balance. Augmentez un peu les aigus.
Marcel se retourne dans le lit. Il fait une courte apnée, ronflote et puis sa respiration reprend son rythme régulier.
1 H 27 mn Marcel dort.
3 H 02 mn Marcel dort.
4 H 17 mn Marcel ronfle.
5 H 12 mn Marcel dort.
7 H 00 mn Un bruit. Un bruit qu’est ce qui se passe ? Mais qu’est ce qui se passe ?
Mais faites un plan large bordel, identifiez moi la source de cette vibration.
Ouf, c’est juste le réveil de Marcel qui sonne.
Ok ça baigne, zoomez sur lui.
Marcel arrête la sonnerie et se lève doucement.
Il se gratte un peu la tête, il baille.
Il se gratte un peu les couilles, il baille.
7 H 02 mn Marcel est en train de pisser.
7 H 03 mn est ce que Marcel prend son café avant de se laver ou bien est-ce que Marcel se lave avant le petit déjeuner ?
Il y a un jeu en ligne et l’on peut parier en direct.
7 H 04 mn Marcel ne se lave pas.
7 H 04 mn Marcel ne prépare pas son petit déjeuner
Merde qu’est ce qu’il fout ?
7 H 04 mn 10 s Marcel sort un petit cahier.
C’est quoi ce truc ?
7 H 04 mn 15 s Marcel s’installe à la table de la cuisine avec son petit cahier.
7 H 04 mn 20 s Marcel sort un crayon d’un tiroir.
Un crayon, il a un crayon, mais bordel il vient d’où ? Il vient d’où ? Vous aviez pourtant bien vérifié tout son appartement ?
7 H 04 mn 30 s Marcel semble réfléchir.
Amplifiez le son, amplifiez, on n’entend rien.
7 H 04 mn 42 s Marcel écrit quelque chose.
Zoom.
7 H 04 mn 48 s Marcel continue à écrire.
Mais zoome plus bon sang.
Putain mais ZOOMMMMMME !
Ce n’est pas une liste de courses ou quelque chose de ce genre.
On est dans la merde !
Qu’est ce que c’est ? Mais c’est quoi ? Affolement.
Tout cela n’était pas prévu. Pas prévu.
Coupez ! Mais coupez nom de Dieu !
Plan d’urgence.
7 H 05 mn 01 s Programme de remplacement diffusé mondialement, instantanément sur tous les écrans.
7 H 05 mn 27 s Tango…Tango vous m’entendez… Allez y ! Feu vert !
7 H 06 mn 03 s Marcel reçoit une balle dans la tête.
7 H 07 mn 38 s Quelqu’un arrive. Quelqu’un vient récupérer le petit carnet.
Quelqu’un lit les dernières lignes puis le referme.
La nuit grave ses sillons et les fleurs sont à l’orage.
Beauté, beauté, j’ai décolleté le hublot,
accès direct à ta plage, en plein sur ton coquillage.
Le temps tourne la tête, fort avis de tempête.
Tourne tes paupières.
Mon ange, mon ange,
remonte un peu mes ressorts avant que je ne m’évapore.
Mais je suis encore là, je reste dans l’ambiance,
de connivence avec les coordonnées de l’au-delà.
Fort avis d’érection, je suis avec les conifères,
frères des grandes cimes, à quoi ça rime ?
Il y avait une source autrefois.
Aujourd’hui je suis sous perfusion. Aujourd’hui coule l’absence.
Wagon numéro 7, s’empilent mes défaites.
Mais reste encore un peu, un peu plus fort.
Promis je poserai mes mains sur ta peau,
histoire de traverser les courants chauds.
Wagon restaurant, fauteuils en moleskine.
Je passe en revue mes sentiments perdus.
Je passe dans les petites annonces. Avis de recherche.
Au fait, étions nous des amants?
Le serveur à tête blême et froide me regarde.
Il me verse quelques gouttes d’immortels pour me ranimer.
Le serveur a de belles mains,
caresse encore un peu mes pièces,
mes accessoires,
Ebullition.
Je suis le roi des avalanches, des lignes blanches.
De compartiment en compartiment, je suis le roi des allées venues.
Zéro kilomètres au compteur. Il doit y avoir une erreur !
Chérie, chérie, qu’as-tu fait de nos objets interdits ?