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SOLANGE CLOUVEL | ||||
ORPHEE DES SABLES MOURANTS | ||||
Indignatum prospexisse
denuntiantem, ne supra crepidam sutor judicaret Pline l’Ancien : Histoire
Naturelle, XXXV, 36, 85. Gueule d’empeigne que la peinture ! Que le diable la patafiole !
Battre la semelle … Battre la campagne … Battre le pavé
… Pratiquer la canne et le chausson…. Velléité
vasarde de la quitter d’une semelle. Banches fangeuses
à jumelles enguirlandées en partance pétrifiée pour
quelque trajectoire illicite. Bourbe interstitielle gouachée.
Porosité des moules à pisé ébréchés. Boueuses
bordures intersectées ou écartées d’un irréalisable
bipédisme éclaboussé. Nostalgie du néolithique. Les
pieds nickelés refusent d’avancer. Leurs ailes de géants
… La semelle grise altérée résonne des pas perdus de
sa mémoire baveuse. Mésopotamie percluse. Dieux et
souverains égyptiens patouillent toujours pieds nus.
Seules trônent aux tablées courtisanes les chaussures
des bourboniens absents. Quel Diogène détroussé
trimarde, enténébré, sa quête ressassée ? Abois
aux chausses horrifiants. S’enfuir un pied chaussé et
l’autre nu. Pour abolir du temps fesse-mathieu
l’usure, qu’importent dextre et senestre, naguère
indifférenciés ? Fossiles infernaux d’Hermès
psychopompe. Trépignements des croupezies battant le chœur.
Talonnières ailées de Persée secourables à la fille de
Céphée et de Cassiopée. A jamais le monstre marin
barbote dans les boues pélagiques. Quelles chasses
nocturnes de Diane en endromides ? L’empreinte
conspuée d’une arcadienne Cendrillon à la guinguette
des maudits déchaussée : crois-tu que l’amour
s’achète avec une paire de talons-crayons ? … ou
les passées dissimulées de cinquante taures en chaussons
d’écorces reculant de Thessalie jusqu’à Pylos ?
… ou la caresse volatile des sandales du criophore
barbu, coiffé du pétase et tenant le caducée ? …
ou les vestiges avinés de Vénitiens en chopines
titubant, une patère en main, dans la barbotière
carnavalesque de la Piazza San Marco ? … ou la
traque du sabotier de Bethmale accroche-cœur ? …
ou le mulleus de l’empereur claudicant qui fait bégayer
la grammaire ? Echolalie. A semelles identiques
empreintes uniques. Entre le sol et le pied, que de précautions
lamellées ! Première de montage crayonnée ;
lit plantaire biffé ; première de propreté
peinturlurée ; talonnière ébauchée ; trépointe
ornementée ; trépointe bourrelet gibbeuse ;
cambrion empâté ; remplissage barbouillé ;
semelle intercalaire gommée ; semelle de marche
rehaussée ; talon esquissé ; bon bout raturé.
Du haut du compensé le Drag Queen ne veut pas mourir.
Semelles lamelles feuilletis colluvions colligées.
Epitaphes déléaturées, tôt délavées, à jamais oblitérées.
Fables minérales épannelées, interdites, pâmées à
jamais. Chimérique briseur de sablier semeur sur le sable
Orphée des sables mourants. Sit tibi terra levis !
Boue de l’encrier, dépôt des fonds de peaux. Albatros
pataud traîné dans la boue. Les pourceaux fouilleurs
s’y vautrent. Géant hécatonchire aux paloches ligotées,
yeux ternis rivés au sol. L’Azur dans une flache. L’échassier
échaudé regarde où il met les pieds. Chausse-trappes.
L’oublieux bimane préfère le cothurne aux écrase-merde,
l’arbyloptère aux arbyles crottées. Intempérantes
intempéries. En barboteuse, à petons joints dans la sémillante
giclée des flaques ; en godillots poisseux, au pied
du mur dans la gadoue des tranchées : des vies au
petit pied. Seul Achille au pied léger … Sur une
maremme croupissante, Narcisse troublé reste sourd à la
clapotante Echo. A la trouble fontaine s’en allant
promener … La meilleure façon de marcher ? Ne pas
mettre un pied devant l’autre. Ne pas recommencer.
Peinture au pied levé. Ecriture à main levée. Le
premier pas coûte, mais il faut le franchir. Partir du
bon pied ou à cloche-pied. S’emmêler presque aussitôt
les pinceaux. S’empêtrer. Ne plus savoir sur quel pied
catalectique danser. Pas de deux. Avoir pied, le perdre,
le reprendre, revenir sur ses pas. Mauvaise passe. Faux
pas. Lâcher pied. Où Deucalion ? Où Pyrrha ?
S’embourber, s’enliser, se débattre et haleter aux piétinements
cadencés des Curètes assourdissants. Finir les pieds
devant. Mais oncques n’avoir rien eu à cirer des
pieds-plats. A la queue leu leu de palus sombrent les
embauchoirs marigots. Solange Clouvel, février 2006.
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