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poïein volume 108 (2012)

GARÇONNE NITOUCHE       Solange Clouvel et Géra(r)d Deschamps

Tapettes à rats en bois blanc (17.5 cm de longueur x 7.5 cm de largeur x 1 cm d’épaisseur).

Soutiens-gorges collés sur carton peint en noir (environ 15 cm de longueur x 15 cm de largeur).

Texte sur papier Bristol découpé et collé (environ 7 cm de diamètre).

Colophon avec titre et photographies de l’auteur et de l’artiste sur papier Bristol blanc plastifié.

Six exemplaires numérotés et signés.  200 euros.

   

 

Dans le titre s’entend aussitôt « Personne n’y touche ! », en écho direct et amusé avec le poème-objet présenté, la tapette à rats signifiant cette interdiction, ce « Bas les pattes ! », cette tape punissant d’éventuels doigts baladeurs. D’où le placement entre parenthèses du second – r – du prénom de l’artiste, permettant d’obtenir un (Gé-) RA (rd) Deschamps, RAT DES CHAMPS de circonstance. Ces mêmes parenthèses sont un clin d’œil graphique au casque enserrant les oreilles de l’auteur, évoquant une pudibonderie extrême et un refus manifeste d’entendre une quelconque allusion grivoise. D’où également le contraste voulu entre le sourire jovial et farceur du plasticien en chèvre-pied et l’attitude plus sérieuse de l’écrivain bégueule, aux yeux arrondis de fausse surprise scandalisée. Autrement dit le Faune et la Sainte Nitouche.

Car, pour en revenir au titre, il cite nommément l’imaginaire patronne des femmes hypocrites, et chatouilleuses en matière de lingerie coquine, Sainte Nitouche. L’autre composante du titre renvoie, outre la proximité phonétique déjà évoquée avec le pronom indéfini « personne », aux Années folles et à la mode des poitrines menues et effacées. Le terme de « Garçonne » est en lien direct, on le verra,  avec ce qui constitue le thème de ce poème-objet.

Tous les noms énumérés dans ce texte désignent en effet les ancêtres de cet élément du « linge de corps » qui deviendra « dessous », le terme de « soutien-gorge » n’étant apparu que dans le Larousse de 1904, après s’être appelé « gorgerette » ou « maintien-gorge ».

Le texte se limite délibérément aux toutes premières dénominations de cet accessoire et plus précisément, en accord avec le titre, à celles rendant compte de son rôle principal : le goût des sociétés de l’Antiquité, gréco-romaine ou chinoise, pour une silhouette féminine androgyne, donc pour des dispositifs gommant la féminité et masquant le développement du buste. La tapette à rats emprisonnant les soutiens-gorges chiffonnés par Gérard Deschamps rappelle ce que le dix-huitième siècle dénonçait comme un « pressoir à corps ».

Le poème joue intentionnellement de la découpe, de la déchirure, de la superposition, du froissement, pour rappeler la démarche plastique de Gérard Deschamps. Certains pourront même entrevoir dans ces chiffonnages de tissus et de papiers un soupçon d’érotisme. C’est pourquoi la forme arrondie qu’adopte le texte voudrait suggérer un œil, insinuer une idée de voyeurisme.

L’œil de l’esthète pourra, lui, se repaître des couleurs, bien que fanées, des soutiens-gorges usagés récupérés chez Emmaüs par un Gérard Deschamps à la fois facétieux et érudit, puisque les « sous-vêtements » de l’Antiquité étaient très colorés. D’ailleurs, les coquettes grecques mettaient leurs seins en valeur à l’aide d’un pinceau trempé dans le jaspe de l’Inde ou le pourpre de l’hyacinthe.

L’œil, non seulement du voyeur et de l’esthète, mais aussi du lecteur attentif et avide d’informations (les uns et l’autre pouvant être une même personne) parviendra peut-être à déchiffrer des noms parfois encore lisibles dans le texte.

 

Dans le Livre III, 270 de « L’Art d’aimer », Ovide adresse ce conseil aux femmes plantureuses : « Angustum circa fascia pectus eat. » (Entourez d’une écharpe une gorge qui a trop d’ampleur). Que le lecteur contemporain soit néanmoins sans crainte : dans l’Antiquité comme de nos jours, l’éternel féminin sait allier maintien, confort et … séduction, pour le plus grand plaisir de l’éternel masculin dont l’omniprésence révélatrice dans les écrits sur ce sujet prouverait, si besoin était, son intérêt en ce domaine…

Quant aux amateurs d’ornithologie, qui peuvent tout aussi bien être d’intellectuels voyeurs esthètes, qu’ils n’oublient pas l’existence  de l’odontophorus strophium, ou tocro à miroir, cette caille forestière à la gorge recouverte de bandes noires et blanches. Nul doute que leur enthousiasme pour le strophium les conduira jusqu’au versant occidental des Andes, en Colombie, un soutien-gorge pigeonnant dans leur malle.

 

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